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# taz.de -- Intervention française en Afrique: Sahel: la guerre est perdue
> Pour le politologue français Marc-Antoine Pérouse de Montclos, la
> solution à l'insécurité serait plutôt dans les mains des Africains.
> Entretien.
Bild: Un soldat français à Ndaki, juillet 2019
Une [1][version allemande] de cet entretien a été publié dans TAZ, édition
du 3 mars 2020
TAZ: Au sommet de Pau, le président Macron a loué les succès de l’armée
française dans la guerre contre le djihadisme au Sahel. Or, vous dans votre
livre vous affirme que cette guerre est perdue. Pourquoi tirez-vous cette
conclusion?
Marc-Antoine Pérouse de Montclos: D’abord, en raison du bilan par rapport
aux deux principaux objectifs qui avaient été énoncés au moment de
l’opération Serval (lancée en 2013), prélude de l’opération Barkhane en
2014. Le premier objectif en 2013 était d’éliminer la menace djihadiste ou,
à tout le moins, de la contenir, d’empêcher qu’elle ne s’enracin. On vo…
qu’en réalité, l’armée française a donné un coup de pied dans la
fourmilière. Les groupes se sont dispersés et sont désormais plus
difficiles à localiser. En fait, ils se sont repositionnés dans d’autres
régions où ils n’étaient pas auparavant, notamment le centre du Mali et le
nord du Burkina-Faso. Donc, le moins qu’on puisse dire est qu’on ne peut
pas crier victoire, loin de là.
Le deuxième objectif était de restaurer la souveraineté du Mali sur
l’ensemble de son territoire. Rappelez-vous qu’en 2012, certains Touaregs
avaient déclaré l’indépendance du Nord, l’Azawad. Or aujourd’hui, le p…
est toujours coupé en deux. Ce sont des groupes rebelles qui perçoivent
l’impôt dans le Nord. Bien qu’on vienne d’annoncer un déploiement de
l’armée malienne sur Kidal, le pays reste toujours divisé. Si vous habitez
Gao par exemple et que vous voulez vous rendre à Bamako, vous devez passer
par les pays voisins, le Niger et le Burkina-Faso, car la route entre Gao
et Bamako est impraticable pour des raisons de sécurité notamment.
Certains disent que si l’armée française se retire, ce que vous préconisez,
le résultat sera pire puisque les djihadistes vont atteindre Bamako,
Ougagadougou, Niamey….
Là-dessus, je remets en question dans mon livre le récit anxiogène des
autorités françaises, avec des groupes qui s’empareraient de Bamako pour
mettre en place un vaste Etat islamique au «Sahelistan». Très franchement,
ce scénario-là, je n’y crois pas et ni vous ni moi ne sommes en mesure de
réécrire l’Histoire pour savoir ce qui se serait passé si l’armée fran�…
n’était pas intervenue en 2013. A l’époque, des insurgés du Nord
s’approchaient de Kona, une petite localité près de la base militaire de
Sévaré, très loin de Bamako. Or les touaregs sont haïs à Bamako. Il y avait
peu de chances qu’ils parviennent à s’emparer d’une capitale d’un mill…
d’habitants.
Dans le Nord, les djjihadistes algériens, eux, avaient réussi à prendre le
controle de Tombouctou, ville de cent mille habitants, en se greffant sur
les griefs anciens des Touaregs contre le pouvoir central. Mais la
configuration était totalement différente à Bamako en 2013. Je voudrais
aussi rappeler une chose: avec 300 pick-ups, l’État islamique a réussi à
s’emparer de Mossoul, un million d’habitants, parce que la population de la
ville était favorable à une mouvance rebelle qui avait agrégé les
revendications des anciens baassistes et des sunnites contre le
gouvernement chiite à Bagdad. Là on avait une configuration favorable. Ce
n’était absolument pas le cas à Bamako en 2013. Là on n’était pas du to…
dans un cadre où les djihadistes étaient porteurs des revendications de la
population de Bamako. Alors, si l’armée française se retirait, on
reviendrait sans doute à la case départ de 2012, avec divers groupes
rebelles se disputant le pouvoir dans le Nord.
En revanche, je ne pense pas que les djihadistes s’empareraient de Bamko
pour les raisons que j’ai énoncées. Au Sud, on aurait peut-être une
situation trouble mais je ne crois pas à l’émergence d’un État islamique…
la mode afghane. Et puis, il y a un acteur qu’on oublie trop souvent, la
MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la
stabilisation au Mali): quelques 13 000 casques bleus aux côtés des 5100
soldats français. Ceux-ci pourraient être amenés à essayer de stabiliser
une situation chaotique comme en République démocratique du Congo. Mais je
ne crois pas qu’on aurait une sorte d’arc de crise qui s’étendrait de
l’Irak jusqu’au Mali. Les officiels français qui tiennent le discours
inverse, eux non plus, ne sont pas en mesure de prouver quoi que ce soit.
On est dans le domaine de la spéculation.
Comment expliquer le peu d’enthousiasme des autres États de l’Union
Eueopéenne à s’engager sur le front sahélien? Est-ce qu’ils partagent vo…
analyse?
Je pense que les Européens ne se sont pas engagés pour deux raisons. La
première est qu’ils n’ont pas une analyse aussi dramatique de la menace
djihadiste et de son ampleur globale. Il faut le rappeler indéfiniment:
aucun de ces groupes n’a jamais commis d’attentat terroriste en Europe ou
en Amérique. Ce n’est pas du tout la configuration de l’EI en Irak ou en
Syrie sans même parler d’Al Qaida en Afghanistan. On est tellement
imprégnés de ce récit dramatique et anxiogène qu’il est nécessaire de le
rappeler.
La deuxième raison, c’est qu’on est dans le pré-carré francophone de la
France. Il est difficile de trancher. Est ce que les Européens
n’intervienent pas parce que la France intervient déjà? Ou bien est-ce que
c’est parce que personne n’intervient que la France décide d’intervenir?
Personne n’est vraiment capable de répondre à cette question. Aujourd’hui,
l’engagement européen reste très faible sur le terrain, tout au moins si on
le compare au discours alarmiste de l’Élysée sur l’ampleur de la menace. …
pense que les Européens seraient beaucoup plus impliqués militairement dans
la zone s’ils étaient vraiment convaincus que demain ils auraient un gros
attentat terroriste à Bruxelles ou à Berlin en cas d’inaction.
Vous semblez réfuter la thèse de l’ennemi appartenant à une multinationale
terroriste, mais il y a des déclarations d’allégeance, des franchises. Il y
a une idéologie commune entre les djihadistes africains et l’EI ou Al
Qaida…
Oh, l’idéologie commune, ça évolue selon les besoins du moment. Quand on
voit les retournements de veste des uns et des autres, l’allégeance à l’un
ou à l’autre, on est en fait dans une guerre de communication. Pour ma
part, je ne vois pas de combattants qui viendraient du monde arabe, Moyen
orient ou Proche orient, je ne parle pas de l’Afrique du Nord. On ne voit
pas non plus de combattants en provenance des banlieues françaises, belges,
allemandes ou britanniques. Pas plus que des transferts de fonds ou d’armes
sous l’égide d’un hypothétique commandement central. On ne voit pas de
concertation et de coordination.
Maintenant, il y a des groupes locaux qui utilisent des franchises globales
pour se rendre plus importants qu’ils ne le sont réellement. Les
allégeances sont parfois opportunistes: je pense par exemple à Al
Saharaoui, aujourd’hui à la tête de l’Etat islamique au Grand Sahara apr�…
s’être disputé avec les djihadistes algériens de la mouvance Al Qaida,
notamment à propos du partage du butin de guerre. Al Saharaoui a quitté le
MUJAO et a fondé son propre groupe. Et comme les autres prêtaient
allégeance à Al Qaida, eh bien, il a prêté allégeance à l’Etat Islamiqu…
Ca ne veut pas dire qu’il reçoit des instructions de Bagdad.
Si l’on regarde l’histoire profonde de la région, il y a quand même une
culture djihadiste, un terrain favorable au djihadisme. Pensons à l’épopée
des Peuls du Macina au 19ème siècle…
Justement, pour moi, c’est bien la preuve que les Africains n’ont
absolument pas besoin du wahabisme saoudien ou du soutien de groupes
islamistes en Irak ou en Syrie pour faire leur propre djihad! Ce que vous
venez de me dire, c’est la preuve du contraire. Cessons de considérer les
Africains comme des gens en permanence manipulés par des forces étrangères.
Considérons qu’ils sont capables de se rebeller par eux-mêmes et de
construire leur propre « théologie de la libération » pour justifier leur
révolte sociale, sans avoir besoin pour cela d’être télécommandés depuis
l’extérieur. Les Africains n’ont pas besoin des Arabes pour faire leur
propre djihad.
Il y avait des conflits préexistants à l’émergence du djihadisme
contemporain avec les Touaregs et les Peuls qui s’estimaient opprimés et
laissés pour compte. N’y-a-il pas eu finalement une espèce d’opportunisme
politique de la part des djihadistes, les menant à apposer leur label sur
ces conflits?
Oui, c’est ce que j’appellerais une instrumentalisation réciproque. Les
djihadistes sont venus mettre leur label sur des conflits locaux, notamment
fonciers, tandis que les parties à ces conflits ont utilisé le Coran pour
justifier leur révolte. Donc, cela s’est joué dans les deux sens. Le fond
de mon propos est que ça ne se joue pas dans un sens unique. Les Africains
ont aussi manipulé les Arabes en jouant sur le registre d’un modèle
révolutionnaire global pour satisfaire leurs agendas locaux: revendications
des Peuls sur les couloirs de transhumance ou des Touaregs en faveur d’une
autonomie régionale.
Apparemment, la progression de l’idée du djihad est favorisée par le
sentiment de révolte contre la corruption, contre les violations des droits
de l’homme. En quelque sorte, il y aurait un fondement moral…
Oui, a peut sembler très bizarre. Les djihadistes s’adressent aux pauvres
en leur promettant de leur redistribuer la « zakat » (impôt religieux) dans
le cadre de la sharia. C’est un discours complètement idéaliste, mais ça
fonctionne partiellement face au racket continu des agents de l’Etat. De
plus, les exécutions extrajudiciaires et la torture en prison donnent du
grain à moudre à des groupes djihadistes qui se présentent aussi comme une
forme de résistance autochtone contre des envahisseurs étrangers. Dans ce
contexte, la présence de l’armée française, c’est du pain bénit pour eu…
Ca les légitime. Ça les ancre dans une résistance nationale, un peu comme
le Hamas en Palestine. Le sentiment d’intrusion étrangère ne touche
d’ailleurs pas que les Occidentaux. Il concerne aussi le soldat ibo du Sud
contre Boko Haram dans le nord est du Nigeria, le soldat bambara du Sud
malien dans le Macina peul, etc.
On a l’impression que la France et les États du Sahel se trompent de
stratégie, d’ennemi…
Je pense que la solution est d’abord politique avant d’être militaire car
le problème de fond touche à la mauvaise gouvernance des pays de la région
et à leur incapacité de régler les conflits autrmeent que par une
répression sanglante et indiscriminée. Pour ne pas critiquer ses alliés,
l’Elysée préfère se focaliser sur la question de l’aide au développemen…
imaginant que la pauvreté serait à l’origine des insurrections du Sahel et
que l’aide, pour une fois, va permettre de lutter efficacement contre la
pauvreté en désamorçant les tentations djihadistes. Pour moi, la solution
est d’abord politique et elle est entre les mains des Africains, pas des
forces étrangères, pas des casques bleus ou des Français.
Elle est dans les mains des Africains. Cela dit, vous-même et d’autres
soulignez à quel point l’Etat s’est décomposé au Sahel. Un départ de
l’armée française dans ces circosntances, ça peut se solder par une
déroute? On assiste à des engagements impliquant un nombre croissant de
djihadistes avec une redoutable efficacité. Je pense aux opérations du
Niger...
Le départ de l’armée française peut aussi produire l’inverse: un sursaut
national! Pour l’instant, la communauté internationale maintient
artificiellement en place des régimes souvent corrrompus, parfois très
autoritaires. Son aide militaire et financière les dissuade de se réformer.
Or si ces régimes n’améliorent pas leur gouvernance, il n’y aura pas de
progrès sur le terrain. La présence miitaire et les financements de la
commaunauté internationale jouent le rôle d’assurance-vie pour ces régimes.
Regardez quelqu’un comme Idriss Déby, c’est presqu’une caricature, On a
dévoyé le mandat de Barkhane qui est censée lutter contre les groupes
terroristes mais qui, l’année dernière, est allé pilonner des colonnes de
rebelles qui n’avaient rien de djihadistes et qui venaient du Sud- Libyen
pour essayer de renverser un président au pouvoir depuis 1990. On le voit
bien: la présence militaire fige les situations. Si on arrête tout ça,
c’est sûr que ça va provoquer un drame. Mais ça va aussi forcer les
Africains à se reprendre en main. Sur quel modèle de gouvernance? Ca je ne
sais pas. Il y aura peut-être une islamisation du politique car l’Etat
post-colonial est maintenant perçu comme obsolète. Pour autant, je ne suis
pas certain que la sharia ait tant de supporters que cela.
Vous parlez d’une guerre perdue. N’êtes-vous pas fataliste? Est-ce qu’il
n’y a pas moyen de changer de cap pour enrayer cette expansion djihadiste?
C’est une guerre ingagnable car le fond du problème n’est pas entre les
mains des militaires. C’est aussi une guerre perdue parce qu’elle est
lointaine et « exotique ». Si l’on veut échapper à la propagande
officielle, il est très difficile de savoir exactement ce qui se passe sur
le terrain. Mais positivons: il y a un exemple de processus de paix que
j’aime à citer, celui de la Colombie. Il connait des hauts et des bas mais
affiche un bilan globalement positif. En Colombie, le gouvernement a mis en
place un fonds d’indemnisation des victimes non seulement des insurgés (les
FARC), mais aussi des forces gouvernementales et des milices
paramilitaires. Au Sahel, vous n’avez rien de tel. Vous avez un récit
unilatéral qui se focalise uniquement sur les atrocités commises par les
djihadistes, jamais sur celles des forces gouvernementales. Pour entamer un
processus de réconciliation, il faudrait que les États acceptent de
négocier avec les insurgés et reconnaissent leurs torts. Pour l’instant, on
a des jeunes qui se jettent dans les bras des djiadhistes pour se protéger:
échapper au massacre, à l’arrestation arbitraire et à la torture en prison.
Envoyer des renforts français sur le terrain, c’est finalement encourager
le comportement actuel des forces de sécurité africaines. Je suis donc
favorable à un départ négocié des troupes françaises. On annonce un
calendrier de retrait qui se renégociera en permanence en fonction des
progrès réalisés par les partenaires africains.
Le paradoxe c’est qu’on a des militaires français qui semblent abonder dans
votre sens et qui disent que le problème n’est pas que militaire ….
Oui, certains militaires et diplomates approuvent ce que je dis. A ma
manière, je dis tout haut ce qu’ils pensent tout bas sans avoir le droit de
s’exprimer publiquement, en raison de leur devoir de réserve. Ils savent
qu’on va droit dans le mur. Mais il y en a d’autres qui, au contraire, sont
complètement fermés, presqu’ autistes. Ils s’imaginent que l’armée
française avec sa technologie et quelques hommes supplémentaires va
résoudre la question.
Une guerre perdue, la France au Sahel, Editions Jean-Claude Lattès, Paris,
2020
9 Mar 2020
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## AUTOREN
François Misser
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