# taz.de -- Entretien avec Pierre-Claver Mbonimpa: „Si je meurs demain…“ | |
> Le célèbre defenseur burundais des droits de l'homme s'exprime sur la | |
> tentative de meurtre contre lui et les perspectives de son pays avant le | |
> référendum du 17 mai. | |
Bild: Pierre-Claver Mbonimpa, à Bruxelles le 19 avril 2018 | |
BRUXELLES taz | Le défenseur burundais des droits de l’homme et pionnier de | |
la lutte contre la torture, emprisonné à plusieurs reprises dans son pays, | |
Pierre-Claver Mbonimpa, lance un appel à la résistance avant le référendum | |
constitutionnel controversé qui pourrait permettre au président Pierre | |
Nkurunziza de demeurer au pouvoir jusqu’en 2034. Pierre-Claver Mbonimpa, | |
rescapé d’une tentative d’assassinat en août 2015 et exilé depuis lors en | |
Belgique, se sent encouragé dans son action par le doctorat honoris causa | |
qu’il se verra remettre officiellement le 3 mai par l’Université Libre de | |
Bruxelles (ULB). Avant lui, une foule de célébrités l’ont précédé dont | |
Shimon Peres, Alpha Omar Konaré, Angela Davis, les cinéastes Ken Loach et | |
Costa Gavras, ainsi que l’ancien ministre français de la justice, Robert | |
Badinter. | |
taz: L’université libre de Bruxelles vous a désigné a docteur honoris | |
causa. Qu’est-ce que cet honneur vous inspire ? | |
Pierre-Claver Mbonimpa: Cela a été une surprise pour moi. Ca m’a beaucoup | |
fait Plaisir. Car pour moi, c’est un message très fort, surtout pour le | |
pouvoir du Burundi. Cela m’encourage très fort ainsi que mes collègues de | |
la société civile pour qu’elle aille de l’avant, afin de poursuivre le | |
plaidoyer pour trouver la solution du problème burundais, sans passer par | |
la violence. Car la violence et la haine, ne construisent pas. Nous voulons | |
une solution négociée. | |
Qu’est-ce qui a fait que vous ayez quitté votre pays ? | |
J’ai quitté le pays car je venais d’échapper à un attentat, le 3 août 2… | |
Les médecins ont vu que j’allais mourir et ils ont décidé que je sois | |
évacué. Je suis en Belgique jusqu’à ce jour et maintenant vous entendez | |
comme je parle. Ca n’est pas ma voix initiale. Je continue à recevoir des | |
soins médicaux et j’espère que dans six mois, j’aurai recouvré ma voix. | |
Pour le moment, je ne peux pas retourner au Burundi, à cause de | |
l’insécurité. J’ai échappé à cet attentat mais peut-être qu’ils peu… | |
m’achever comme ils ont voulu le faire quand j’étais à l’hôpital. | |
Qui sont ces “ils“ ? Qui a voulu vous assassiner ? Vous avez reçu des | |
menaces ? | |
Oui, j’ai reçu des menaces, avant l’attentat, depuis plusieurs jours on | |
faisait circuler sur what’s app, tweeter et facebook que Pierre Claver | |
Mbonimpa était assassiné, alors que cela n’était pas fait. Beaucoup de gens | |
m’ont contacté, pour me demander si j’étais toujours en vie. Mais le même | |
jour, où on m’a pose cette question, a eu lieu la tentative d’assassinat. | |
J’ai vu la personne qui a failli m’assassiner, Il m’avait suivi à moto. … | |
a tiré quatre balles sur moi, une seule m’a atteint à la gorge. Mais il n�… | |
pas réussi la mission qui lui était confiée. Il a été assassiné par la | |
suite pour effacer les preuves. | |
Qui est cet homme ? | |
Quelqu’un du Service national de renseignements (SNR) en charge du Quartier | |
Nord et de Kamenge à Bujumbura. On se connaissait. | |
Vous êtes un militant des droits de l’homme, pas un politicien mais que | |
pensez-vous du référendum du 17 mai ? Cela vous intéresse ? | |
Le référendum du 17 mai m’intéresse beaucoup parce qu’il y a un rapport | |
avec la tentative d’assassinat contre moi. J’avais dit “non“ au troisi�… | |
mandat de Pierre Nkurunziza. Et moi j’ai dit qu’il faut absolument | |
respecter les accords d’Arusha (Note de la rédaction: qui inspirent la | |
constitution en vigueur). Mais ce que je peux dire c’est que ce quand on a | |
négocié Arusha, c’était des problèmes politiques mais qu’on associait �… | |
problèmes ethniques. Moi, je disais souvent, les problèmes du Burundi, ne | |
sont pas ethniques car auparavant, avant 1972, je n’avais jamais vu la | |
population s’entretuer. | |
Mais le pouvouir dit que les amendements qu’il veut apporter à la | |
constitution ne vont pas modifier les clés de répartition entre Hutus et | |
Tutsis, définies dans l’accord d’Arusha, concernant les postes de | |
responsabilité dans l’armée, la police et l’administration. | |
Ce n’est pas vrai. Il y a les textes et ce qu’on constate sur le terrain. | |
J’ai publié un rapport sur les services de sécurité. J’ai constaté qu�… | |
sein du Service national de renseignement, il n’y avait aucun Tutsi à la | |
tête des 18 provinces du pays. Les accords d’Arusha sont déjà bafoués. | |
Concernant la police vous n’allez pas trouver les 60% de Hutus et les 40% | |
de Tutsis, comme c’est dit dans l’Accord. Il n’y a même pas 10% de Tutsis | |
dans la police.. Dans l’armée, les militaires des anciennes forces armées | |
burundaises sont à la retraite pour la plupart. Les militaires tutsis sont | |
assassinés. Allez voir combien il y a de magistrats tutsis aujourd’hui. | |
Ceux qui sont engagés aujourd’hui sont des hutus. Les accords d’Arusha, ne | |
sont plus respectés. Sans compter le fait qu’ils stipulent qu’aucun | |
président ne peut briguer plus de deux mandats consécutifs. | |
Cela dit, le résultat du référendum ne semble pas faire beaucoup de doutes. | |
On a l’impression que ces derniers temps, l’opposition, notamment la | |
coalition du CNARED (Conseil National pour le Respect de l'Accord d'Arusha) | |
est en perte de vitesse… | |
Vous parlez du CNARED, mais pourquoi ne parlez-vous pas du Forum citoyen | |
qui englobe le CNARED, la société civile, les médias, les femmes et les | |
jeunes. Nous avons mis en place un comité de coordination. Nous nous | |
concertons à propos de ce référendum, parce qu’il ne va rien apporter aux | |
Burundais, uniquement le malheur. On a vu la période monarchique au | |
Burundi. Les rois ont été assassiné. Nous avons fait un pas vers la | |
démocratie et maintenant Nkurunziza revient en arrière, en voulant | |
restaurer la monarchie. Nous, les Burundais ne sommes pas d’accord ! | |
Vous dites que cette volonté d’amender la constitution, c’est une tentative | |
de restauration de la monarchie ? | |
C’est ce que Nkurunziza veut. Il nous dit lui-même qu’il va devenir le roi | |
du Burundi. Nous voulons avancer. Nous sommes en démocratie. Nous l’avons | |
dit depuis longtemps, c’est pourquoi beaucoup de gens sont en exil. Et la | |
plupart de ceux qui ont dit non à un troisième mandat, sont ses collègues | |
du parti CNDD-FDD. Je dispose d’une liste de 82 personnes dont deux Tutsis | |
seulement. Le reste ce sont des Hutus qui étaient avec Nkurunziza dans la | |
rebellion. On parle de problème ethnique mais c’est faux.. Pourquoi a-t-on | |
voulu m’assassiner ? Je suis pourtant Hutu comme Nkurunziza, je suis de la | |
même commune et nous habitons la même province. Pourquoi ? Après l’échec … | |
mon assassinat, il a assassiné mon enfant et mon beau-fils. Ils n’étaient | |
pas Tutsis. Je vais donner un autre exemple qui est alarmant. Adolphe | |
Nshimiriman, l’ex-administrateur général du SNR, a été assassiné le 2 ao… | |
2015. Qui a assassiné Adolphe ? | |
Les ennemis du pouvoir ? | |
Moi, je dis le contraire C’est le pouvoir qui a assassiné Adolphe | |
Nshimirimana. Nous avons des preuves. | |
Pourquoi le pouvoir l’aurait fait ? | |
Un conflit interne. Et pourquoi ne me demandez-vous pas pourquoi la députée | |
et ancienne ministre Hafsa Mossi a été assassinée ? D’autres ont été | |
assassinés. Ce ne sont pas les gens qui s’entretuent, ce n’est pas le parti | |
qui tue, c’est le mauvais pouvoir qui tue. | |
Mais les jeux ne sont-ils pas joués d’avance; il y a eu un récent rapport | |
de Human Rights Watch sur la répression des droits de l’homme, et des | |
témoignages selon lesquels la milice des Imbonerakure du parti au pouvoir, | |
CNDD-FDD se promènent avec des gourdins. Il sera difficile d’exprimer un | |
autre avis que celui du Président. | |
Moi, je l’avais dit, depuis longtemps. Il y avait un plan qu’on a baptisé | |
“safisha“. Safisha c’est un mot swahili qui veut dire “balayer“. Avec | |
Safisha, on avait commencé à exterminer des gens des partis d’opposition, | |
notamment des FNL. Et quand j’ai constaté cela, je l’ai dénoncé. J’ai | |
failli être emprisonné. Quand le CNDD est arrivé au pouvoir, est-ce qu’on | |
n’a pas pris des détenus dans les geôles de la prison pour les tuer et les | |
jeter dans la rivière Ruvubu ? Actuellement, il n’y a pas de gros problème | |
entre le pouvoir et les Tutsis. Le gros problème se trouve entre les Hutus | |
eux-mêmes. Les Tutsis sont assassinés cependant, à cause de la haine, à | |
cause de la vengeance. On dit que les Tutsis ont tué les Hutus en 1972, | |
alors maintenant, ils veulent se venger et tuer les Tutsis. Mais moi qui | |
suis hutu, je dis que ces enfants qu’on est en train de tuer, même si ce | |
sont des Tutsis, ce n’est pas eux qui ont tué, ils n’avaient même pas 10 | |
ans, il y en a même qui n’étaient pas encore nés. | |
Cela dit, il semble que l’opposition soit divisée. Certains comme Léonce | |
Ngendakumana disent qu’il faut voter “non“ à ce référendum. D’autres | |
prônent le boycott… | |
Moi, je ne vois pas de division. Pour moi, voter “non“ ou boycotter, il n�… | |
a pas de différence. Ce sont les politiciens qui veulent interpréter cela | |
autrement. C’est vrai, l’opposition n’était pas soudée mais les choses | |
trouvent des solutions petit à petit. Il y a un mois, nous avons commencé | |
avec le Forum citoyen à collaborer avec l’opposition, les media et la | |
société civile. Maintenant, nous y allons comme un seul homme. Nous devons | |
tout faire pour que ce référendum ne soit pas organisé car il pourrait bien | |
provoquer une guerre civile. La population est déjà malheureuse, pauvre. | |
Elle meurt du paludisme, de faim. Est-ce que Nkurunziza dirige vraiment le | |
pays ? Chaque jour, meurt une dizaine de gens. Le rapport 2017 de | |
l’Association burundaise pour la protection des droits humains (APRODH) que | |
j’ai sorti, mentionne 504 tués. Le pouvoir ne l’a pas nié. Il y a 400 000 | |
réfugiés au Rwanda, et en Tanzanie. On extorque des taxes à la population, | |
un impôt de capitation. La population n’a pas de revenus, mais celui qui ne | |
cotise pas, il est intimidé. torturé. La population vit dans la peur | |
totale. | |
Mais pour qu’il y ait une guerre civile, il faut être deux. Il semblait que | |
la guérilla des Forces populaires du Burundi ait été affaiblie, depuis que | |
les autorités tanzaniennes ont extradé deux de ses commandants à la fin | |
2017… | |
Une guérilla ne peut pas venir seulement de l’extérieur. Elle peut venir de | |
l’intérieur du pays car à l’intérieur du pays, ils sont mécontents. Les | |
militaires sont mécontents, y compris les casques bleus en Somalie sont | |
mécontents. Même moi, je suis mécontent. Si je suis mécontent, derrière | |
moi, combien de personnes peuvent me suivre ? J’ai des frères et soeurs, | |
des amis. Il y a les 400 000 personnes en exil. Les gens se trompent, | |
Nkurunziza n’a pas de popularité. | |
On a essayé de présenter du côté du pouvoir ces dernières années, le | |
mouvement de contestation comme étant essentiellement urbain. Le pouvoir | |
répond “notre base c’est sur les collines“, que répondez-vous ? | |
Je suis de la colline, Nkurunziza aussi. Nous connaissons notre population. | |
Elle vit dans la peur. Les Burundais ne peuvent pas fuir parce qu’ils | |
peuvent être appréhendés et tués. Mais moi quand je fais des analyses, je | |
constate si je me présentais personnellement aux élections face à | |
Nkurunziza et qu’elles soient libres et transparentes, je vous dis que | |
Nkurunziza n’aurait pas 20% ! | |
Seriez-vous prêt à vous porter candidat ? | |
Bon, à mon âge franchement… Je peux remorquer les autres. Mais en cas de | |
force majeure si c’est pour sauver le pays je pourrais marcher. | |
Il y a un acteur dont nous n’avons pas parlé: la communauté internationale. | |
Elle semble bien impuissante à instaurer le dialogue entre le pouvoir et | |
l’opposition… | |
Quand on parle de communauté internationale, je ne sais pas ce que le mot | |
veut dire. J’ai essayé de rencontrer les représentants des Etats qui | |
siègent au Conseil de sécurité des Nations Unies. J’ai pu en rencontrer | |
treize en une fois, les quinze sauf la Chine et la Russie. Quelques mois | |
plus tard, j’ai pu enfin rencontrer le représentant de la Russie. Il m’a | |
dit que le Burundi n’a pas de problème avec la Russie et moi non plus mais | |
que nous, Burundais, étions victimes de conflits internes au sein du | |
conseil de sécurité. Il m’a même dit que même s’il y a une résolution … | |
puisse sauver le Burundi, si elle émane des Etats-Unis, la Russie y | |
mettrait son veto. Voilà pourquoi nous sommes victimes. Alors, il y a la | |
Chine, qui travaille pour ses intérêts. Je dirais que la communauté | |
internationale, ce sont des politiciens, des diplomates. Ce ne sont pas eux | |
qui trouveront la solution pour les Burundais. C’est nous qui devons la | |
trouver et la communauté internationale va nous accompagner. Je vous dis | |
que les Burundais sont en train de se liguer, de se mettre ensemble | |
Ca c’est l’essence de votre combat actuel qui est recompensé par ce | |
doctorat honoris causa ? | |
En fait mon combat est de protéger la population qui meurt chaque jour. Si | |
Nkurunziza pouvait me tuer pour que la solution des Burundais soit trouvée, | |
je serai d’accord. Je ne l’ai pas dit autrement. On a essayé de me tuer. On | |
a tué mon fils et mon beau-fils, il y a une multitude de gens que j’ai vu | |
égorgés dans les rues, des jeunes gens que j’ai aidé à enterrer dignement. | |
Alors si nous avons en face de nous quelqu’un à qui nous avons conseillé | |
d’abandonner, de tuer la population, et qui ne veut pas arrêter, qu’est ce | |
que nous allons faire ? La solution c’est aux Burundais de la trouver. Moi, | |
avec mon âge, je peux m’opposer mais j’ai des petits enfants derrière. Il | |
faut quand même que je fasse quelque chose parce que si je meurs demain et | |
que ces enfants restent dans cette situation, j’aurais des comptes à | |
rendre. C’est pourquoi je continue à plaider. Nous avons envoyé une lettre | |
à la communauté internationale dont vous venez de parler pour leur demander | |
de dire à Nkurunziza d’arrêter ce référendum. A défaut, il n’y a pas de | |
raison d’aller aux négociations. Négocier avec quelqu’un qui est en train | |
de tuer les gens ? Non ! Il faut le laisser partir seul, et nous, nous | |
allons trouver d’autres solutions. Voilà. Moi, je me donne corps et âme | |
chaque jour. J’ai connu la prison, Un prisonnier n’est pas quelqu’un qui | |
doit être tué, mourir de faim. Aujourd’hui, les prisons sont pleines,c’est | |
la première fois que le nombre des prisonniers on n’avait jamais atteint ce | |
nombre. A la fin du décembre, on avait 11 638 prisonniers dont 4000 | |
prisonniers politiques… | |
15 May 2018 | |
## AUTOREN | |
François Misser | |
## TAGS | |
Burundi | |
Burundi | |
## ARTIKEL ZUM THEMA | |
Verfassungsreferendum in Burundi: Präsident siegt – und verliert | |
Staatschef Nkurunziza triumphiert bei der Volksabstimmung. Es folgen | |
innenpolitische und diplomatische Turbulenzen. |