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La nouvelle réglementation sur les zones inondables au Québec devra répondre à des enjeux éthiques [1]
['Fatma Ozdogan', 'Gonzalo Lizarralde', 'Manel Djemel', 'Philippe Gachon']
Date: 2024-11-11 16:02:08+00:00
Récemment, la Communauté métropolitaine de Montréal a révélé sa nouvelle cartographie de zones inondables : environ 19 000 logements de son territoire s’y retrouvent désormais.
L’impact sur les propriétaires et les municipalités sera grand. On s’attend à une importante perte de la valeur foncière et à des difficultés pour assurer ces propriétés. Sans surprise, les revendications commencent à se faire sentir.
En réalité, La CMM ne fait que suivre les principes adoptés par le gouvernement québécois pour moderniser la réglementation des zones inondables.
Présentées comme une adaptation aux changements climatiques, les nouvelles cartes classent les zones inondables en quatre catégories de risques (faible, modéré, élevé et très élevé) et intègrent beaucoup plus de données que les précédentes.
La majorité des Québécois vivent près de l’eau
Cette modernisation est certes nécessaire eu égard aux dommages causés par les inondations. Au Québec, les inondations sont fréquentes et coûteuses. La majorité de la population vit près de l’eau, rendant environ 80 % des municipalités vulnérables. Les inondations de 2017 et 2019 ont forcé l’évacuation de milliers de personnes et causé plus d’un milliard de dollars en dommages.
En 2023, près de 300 propriétés dans Charlevoix ont été touchées. Cette année, des précipitations associées à la tempête Debby ont inondé des milliers de sous-sols, entraînant environ 70 000 réclamations d’assurance.
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Nos travaux au sein de l’Observatoire universitaire de la vulnérabilité, de la résilience et de la reconstruction durable et du Réseau Inondations InterSectoriel du Québec nous permettent de mieux comprendre les causes et les conséquences de ces changements réglementaires.
La mise sur pied d’un régime transitoire suscite des problèmes
En attendant de finaliser le nouveau cadre normatif permanent, la gestion des risques d’inondation repose sur un régime transitoire, en vigueur depuis mars 2022.
La Presse canadienne/Graham Hughes
Ce cadre remplace les anciennes politiques de protection des rives et des zones inondables et fait partie intégrante du Plan de protection du territoire face aux inondations, élaboré après les désastres de 2017 et 2019.
Or, ce régime transitoire rencontre plusieurs défis. Il impose un cadre uniforme à toutes les municipalités, interdisant les rénovations ainsi que toute nouvelle construction dans les zones à haut risque.
Certains spécialistes suggèrent, toutefois, que plusieurs travaux de rénovation pourraient, en effet, augmenter la résilience des maisons face aux inondations.
D’autres observateurs ont critiqué le manque de clarté des processus juridiques. La Fédération québécoise des municipalités a souligné la nécessité de préciser les aspects où le régime transitoire remplace les réglementations municipales. De nombreuses municipalités restent incertaines quant à leurs rôles et responsabilités. L’Union des producteurs agricoles à son tour s’inquiète des restrictions sur les terres agricoles, notamment les « zones tampons », qui réduisent les terres cultivables et augmentent les coûts de production pour les agriculteurs.
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En mars 2023, le gouvernement du Québec a annoncé des ajustements pour accorder plus d’autonomie aux municipalités. Désormais, elles peuvent délivrer des permis pour rénover ou démolir des bâtiments en zones inondables sans approbation ministérielle, clarifiant ainsi leurs responsabilités et simplifiant les processus.
Malgré ces ajustements, des préoccupations persistent quant à la clarté des mesures, leur application dans divers contextes, les conflits avec les réglementations existantes, et la prise en compte des particularités locales.
Les résidents sur la corde raide
L’impact sur les résidents et les restrictions imposées aux propriétaires suscitent également des inquiétudes. L’incertitude par rapport à la réponse des compagnies d’assurance demeure. Déjà cette année, le Mouvement Desjardins a annoncé son intention de restreindre les services hypothécaires pour les maisons situées en zones inondables.
En réponse à tous ces problèmes, certains chercheurs proposent l’introduction de certificats de résilience pour les bâtiments, la mise en place d’un programme de relocalisation pour les habitations en zones à haut risque, ainsi qu’une compensation pour les municipalités touchées par la perte de revenus fiscaux. L’organisme Architectes sans frontières recommande également l’adoption de mesures adaptatives, favorisant une architecture résiliente et des pratiques de construction plus innovantes.
Au Québec, diverses stratégies ont été mises en œuvre pour éviter les relocalisations forcées. Le gouvernement québécois propose aux résidents de réparer leur maison avec une aide financière ou d’accepter une compensation pour démolir et se relocaliser.
On ne se relocalise pas en criant ciseau
Cependant, cette approche pose aussi certains problèmes. En effet, de nombreux résidents, en particulier les aînés et ceux ayant hérité de propriétés familiales, ont des liens profonds avec leur territoire, leur communauté et leurs modes de vie.
De plus, la reconstruction peut causer à son tour des nouveaux impacts environnementaux, surtout en termes d’émissions de gaz à effet de serre et en termes d’étalement urbain si les habitants sont relocalisés en périphérie des villes (où, souvent, les terrains sont moins chers et disponibles).
Enfin, le manque de logements au Québec, récemment accentué, rend plus difficile la relocalisation des habitants dans des logements abordables, non situés en zone inondable.
Que faire avec les sites patrimoniaux ?
Il faut aussi noter que plusieurs zones inondées comprennent des sites patrimoniaux. En Beauce, la réponse aux inondations de 2019 comprenait la démolition de plusieurs propriétés, dont certaines à caractère patrimonial. L’organisation de protection du patrimoine (GIRAM) et d’autres opposants ont accusé le gouvernement d’agir trop rapidement sans envisager d’autres solutions comme l’élévation des maisons ou la construction de digues.
La Presse Canadienne/Nigel Quinn
La période transitoire permet au gouvernement de comprendre les risques et d’évaluer les stratégies à mettre en place. Elle permet aux chercheurs de produire des connaissances pertinentes. Certains d’entre eux estiment que ce régime, à la fois strict et flexible, facilite la coordination entre ministères et avec d’autres institutions.
Or, plusieurs défis demeurent, tels que l’intégration des nouvelles données climatiques, les lacunes dans la cartographie, l’accès limité aux informations, la répartition inefficace des responsabilités et le manque de ressources parmi les autorités locales.
Tirer des leçons
Les lois temporaires ont été utilisées aussi dans d’autres pays pour la gestion des risques et catastrophes. Mais ailleurs, comme ici, elles posent des problèmes de mise en œuvre. Un chercheur de l’Université Harvard, par exemple, note que les lois temporaires permettent des réponses rapides et flexibles, mais qu’elles peuvent entraîner également des coûts de transaction plus élevée, des charges administratives accrues et des contradictions dans les politiques.
Alors que le Québec met à jour son cadre de gestion des risques d’inondation, il est essentiel de tirer des leçons de la période de transition pour construire un meilleur cadre permanent. Il sera essentiel d’évaluer les implications politiques et les ressources qui seront nécessaires pour atteindre les changements souhaités.
Enjeux environnementaux, mais aussi éthiques
Le succès dépendra de la capacité à surmonter les défis pratiques et à répondre aux besoins des communautés locales, tout en révisant les normes et les pratiques de construction actuelles. Une réflexion sur l’usage des sous-sols et leur construction dans des nouveaux projets, par exemple, devient de plus en plus indispensable. Avec les changements climatiques et l’augmentation des désastres associés au Canada et dans le monde, des nouvelles approches sont nécessaires.
La Presse canadienne/Graham Hughes
Très souvent, les pratiques actuelles ne prennent pas suffisamment en compte les coûts environnementaux et sociaux, ainsi que la dimension morale de nos décisions. Le problème des inondations est, au Québec comme ailleurs, un problème politique. Il doit donc passer par une réflexion sur la justice sociale, sur les gagnants et les perdants des décisions prises, ainsi que sur la dimension éthique de nos actions individuelles et collectives.
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[1] Url:
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