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La viande cultivée en laboratoire pourrait-elle se développer en Europe ? [1]
['Melis Aras']
Date: 2025-02-21 11:22:48+00:00
Alors qu’il est désormais autorisé de vendre de la viande cultivée en laboratoire aux États-Unis et à Singapour, en Europe, ce nouvel aliment divise. Si certains pays misent sur son développement, l’Italie a voté une loi l’interdisant. L’Union européenne n’a pas encore statué sur l’absence totale de risque pour le consommateur, mais cela n’empêche pas de voir fleurir les investissements publics ou privés.
Bien-être animal, empreinte carbone, nutrition… Les questionnements au sujet de notre consommation de viande ne manquent pas, et les nouvelles sources de protéines apparaissent de ce fait comme des alternatives de plus en plus scrutées. Parmi elle, la viande cultivée en laboratoire a une place bien particulière.
Produite à partir de cellules animales en prolifération dans un milieu de culture contenant des facteurs hormonaux utilisés pour stimuler le développement cellulaire, elle est l’objet d’une attention croissante dans les politiques agroalimentaires actuelles. Mais de par sa nature même, ce nouvel aliment suscite aussi de nombreuses interrogations quant à la transparence des informations destinées aux consommateurs, ses implications nutritionnelles, son impact environnemental et ses effets sur le bien-être animal.
Dans ce contexte, pourrait-on la voir se développer en Europe ? Tour d’horizon des différents positionnements et des évolutions en la matière sur le continent.
Des autorisations à Singapour aux États-Unis et en Grande-Bretagne
La viande cellulaire a été présentée au grand public pour la première fois en 2013 à Londres avant d’être autorisée à la commercialisation en 2020 à Singapour, pays sans territoire pour pratiquer l’élevage et donc très dépendant des importations pour la viande. Ce sont plus précisément des nuggets de poulets produits in vitro par une start-up américaine qui sont proposés aux Singapouriens.
En 2023, les États-Unis ont emboité le pas avec la mise sur le marché de viande de poulet cultivée en laboratoire par deux entreprises, « Upside Foods » et « Good Meat ».
En Europe, bien que l’Agence britannique de santé animale et végétale (APHA) ait autorisé la commercialisation de viande cellulaire de poulet pour les animaux de compagnie, son développement n’est toujours pas advenu. À la croisée de la liberté économique, de l’innovation technologique et des impératifs de santé publique, la viande cellulaire cristallise de fait de nombreux enjeux juridiques.
L’Europe reste divisée
D’un côté, la viande cellulaire se présente comme l’une des solutions alternatives aux côtés des insectes et des substituts végétaux pour répondre à la demande croissante en viande conventionnelle.
Elle génère à ce titre des investissements croissants en Europe. L’entreprise néerlandaise « Mosa Meat » domine ce secteur en ébullition avec 40 millions d’euros levés en 2024 pour développer ses processus de production, réduire ses coûts, et se préparer à entrer sur le marché européen.
Plusieurs gouvernements européens, tels que ceux des Pays-Bas, de l’Allemagne, de l’Espagne, du Royaume-Uni et de la Norvège, ont également alloué des fonds publics à la recherche pour soutenir cette innovation.
Cependant, des réticences persistent, telles qu’exprimées par l’Autriche et la Hongrie, en raison des incertitudes entourant ce nouvel aliment, allant même jusqu’à une interdiction de commercialisation votée le 16 novembre 2023 au parlement italien.
Ces États expriment par là des inquiétudes quant à l’impact de ces nouveaux aliments sur l’élevage traditionnel, la viabilité des zones rurales, la durabilité environnementale, la sécurité sanitaire et la transparence pour les consommateurs, plaidant ainsi pour une approche plus globale et concertée à l’échelle européenne. Ce positionnement pourrait aussi s’expliquer par plusieurs facteurs, notamment le poids économique et culturel de l’élevage dans ces pays, ainsi que la volonté de préserver un patrimoine gastronomique et culinaire.
La France tarde à statuer
En France, les pouvoirs publics restent eux divisés entre une nécessité de légiférer sur la question et une réticence à embrasser pleinement la technologie de la viande cellulaire, perçue comme une menace pour les méthodes traditionnelles de production alimentaire.
Le rapport d’information de la commission des affaires économiques du Sénat du 5 avril 2023 intitulé « Aliments cellulaires : être vigilant pour mieux encadrer et maîtriser la technologie » avait déjà souligné un manque flagrant d’anticipation de la part des pouvoirs publics français, surtout en comparaison avec les initiatives prises dans d’autres pays.
Un retard se constate en particulier dans l’encadrement réglementaire de la viande cultivée, ainsi que dans l’accompagnement des acteurs économiques face à cette innovation. Pourtant, un débat politique est en construction. À ce jour, trois propositions de loi visent à interdire la production et la commercialisation de la viande cellulaire en France, tandis qu’un article de loi en vigueur depuis le 25 août 2021 en proscrit déjà l’usage dans les services de restauration collective. Une dizaine de questions parlementaires ont également été adressées, principalement au ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, afin de clarifier la position de la France sur les aliments cellulaires.
L’ancien premier ministre Gabriel Attal, lors de sa conférence de presse à Matignon le 1er février 2024, appelait lui à une législation européenne claire sur la viande de synthèse tout en la jugeant incompatible avec « notre conception de l’alimentation à la française ».
Mais depuis lors, les perspectives ont évolué. Selon le rapport interministériel de juin 2024 « Prospective pour l’industrie agroalimentaire française à l’horizon 2040 », publié le 12 février 2025, ces nouveaux produits, y compris la viande cellulaire, sont désormais envisagés comme une composante possible de l’offre alimentaire.
En Europe, deux demandes de mise sur le marché
Aujourd’hui, donc, si l’UE ne s’est toujours pas décidée sur une réglementation unifiée en matière de viande cellulaire, deux demandes d’autorisation de mise sur le marché ont malgré tout été effectuée. En juin 2024, la société française « Gourmey » a soumis une demande pour son foie gras cultivé, tandis que l’entreprise néerlandaise « Mosa Meat » a annoncé, le 22 janvier, avoir sollicité l’approbation de la Commission européenne pour sa graisse de bœuf cellulaire.
Mais il semble pour l’heure encore difficile de statuer sur l’absence totale de risque pour le consommateur, condition sine qua non à une mise sur le marché.
Comment nommer ce nouvel aliment ?
Autre questionnement auquel il faudrait répondre pour une hypothétique commercialisation de viande cellulaire : celle des informations et étiquetages développés pour répondre aux objectifs de la santé publique. Les termes « viande cellulaire », « viande in vitro », « viande synthétique » ou « viande artificielle » reflètent déjà la diversité des approches sur la nature de ce produit, notamment par rapport à la viande conventionnelle. Certains estiment que la viande cellulaire ne peut être assimilée à la viande conventionnelle, car les informations sur les denrées alimentaires ne doivent pas induire le consommateur en erreur.
À l’inverse, d’autres soutiennent que la viande cellulaire devrait pouvoir utiliser des dénominations carnées, à condition que le qualificatif « à base de cellules » soit clairement indiqué sur l’étiquetage.
L’utilisation du terme « viande » pourrait, en ce sens, entraîner des complications similaires à celles rencontrées avec les boissons végétales, pour lesquelles il est interdit d’utiliser le terme lait.
L’enjeu principal serait alors de garantir une information transparente et non trompeuse, permettant aux consommateurs de faire des choix éclairés, tout en assurant une concurrence loyale.
Des questionnements sanitaires
L’étiquetage de la viande cellulaire soulève également des questions sanitaires, nécessitant l’ajout de mentions spécifiques lors de son autorisation afin de prévenir les risques pour la santé, en particulier ceux touchant les groupes vulnérables. La viande cellulaire peut de fait présenter les mêmes conséquences allergiques que son équivalent d’origine animale, raison pour laquelle la FAO recommande, dans un document de travail de 2022, que l’espèce animale soit clairement indiquée sur l’emballage.
La viande cellulaire suscite aussi des interrogations nutritionnelles, environnementales et éthiques, notamment en ce qui concerne son impact carbone, la comparaison de son apport nutritionnel avec celui de la viande conventionnelle, ainsi que la nécessité éventuelle de recourir encore aux animaux pour la production des cellules musculaires, notamment via les cellules souches.
Les questions concernant l’apport en nutriments et la valeur nutritionnelle de la viande cultivée en laboratoire restent aujourd’hui sans réponse claire. Certaines études suggèrent qu’il serait possible d’ajuster le ratio entre les acides gras saturés et polyinsaturés dans cette protéine pour en faire un produit plus sain, par exemple en remplaçant les graisses saturées par des graisses bénéfiques comme les oméga-3.
Mais d’après le Groupe international d’experts sur les systèmes alimentaires durables, la viande cellulaire pourrait présenter plus de risques que de bénéfices, rendant difficile la justification des affirmations ambitieuses sur les avantages nutritionnels des protéines alternatives.
De la même manière, la prise en compte de la dimension environnementale est insuffisante dans la réglementation actuelle. Il est pourtant crucial de considérer l’impact environnemental de ce nouvel aliment, notamment à la lumière des enjeux liés à la production de viande, tels que le rôle de l’élevage dans les émissions de gaz à effet de serre, la consommation massive d’eau, en particulier pour l’élevage bovin, la pollution de l’eau due à la gestion des effluents, et l’appauvrissement de la biodiversité. Pour l’heure, lorsque l’on réunit tous ces critères, le bénéfice de la viande cellulaire sur l’élevage conventionnel n’apparaît pas comme garantie.
Le respect du bien-être animal reste un des arguments forts en faveur de la viande cellulaire, soutenue par diverses initiatives citoyennes et associations de protection animale.
Mais des animaux restent impliqués dans le processus de production de viande cellulaire, et la question de leur bon traitement reste ouverte.
À ce sujet, l’utilisation de sérum fœtal bovin, contenant des quantités importantes de nutriments essentiels à la formation des cellules, demeure controversée en raison de ses implications éthiques et de celles relatives au respect du bien-être animal.
Par ailleurs, la législation européenne sur le bien-être animal, dont la révision est attendue depuis octobre 2023, demeure toujours à l’ordre du jour, ce qui témoigne de l’importance persistante de cette problématique en Europe et de la nécessité de renforcer les normes pour répondre aux préoccupations sociétales croissantes avant l’introduction de ces nouveaux aliments sur le marché.
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[1] Url:
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