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Jusqu’où Einstein avait-il raison ? [1]
['Camille Bonvin', 'Isaac Tutusaus', 'Nastassia Grimm']
Date: 2025-02-17 16:23:11+00:00
La théorie de la relativité générale d’Einstein est au fondement de notre description du cosmos. Dans notre étude publiée par Nature Communications, nous avons développé un nouveau test de la gravitation, consistant à mesurer l’évolution des distorsions de l’espace et du temps au cours de l’histoire de l’Univers. Alors que, loin dans le passé, les mesures sont en accord avec la théorie d’Einstein, plus proches de nous les distorsions semblent moins prononcées que prévues. Ceci pourrait être un premier signe qu’à grande distance, pour des objets très éloignés les uns des autres, la gravitation se comporte différemment.
La cosmologie moderne a commencé avec la formulation de la relativité générale d’Einstein en 1915. Selon Einstein, l’Univers n’est pas immuable, mais il a sa propre histoire, influencée par la matière et l’énergie qui s’y trouvent. En particulier, en appliquant la théorie de la relativité générale d’Einstein à notre Univers, un physicien russe du nom d’Alexander Friedmann a prédit que celui-ci grandit avec le temps : on dit qu’il est « en expansion ». Cette prédiction a été vérifiée expérimentalement dans les années 1930 par Edwin Hubble, un astronome américain, et Georges Lemaître, un prête et mathématicien belge.
La théorie d’Einstein prédit aussi que la géométrie de l’Univers est courbée par la matière qu’il recèle. Une galaxie par exemple va créer un puits gravitationnel, une sorte de creux dans l’étoffe de l’Univers, qui sera d’autant plus profond que la galaxie est massive. Ce qui est particulièrement fascinant, c’est que ce n’est pas seulement l’espace qui se creuse en présence de matière, mais aussi le temps : le temps passe plus lentement au fond d’un puits qu’en dehors.
Dans la théorie d’Einstein, il y a un lien direct entre la quantité de matière présente et la courbure de l’Univers. Ainsi, mesurer les distorsions de l’espace et du temps permet de tester la validité de la théorie.
Dans notre étude, nous avons fait exactement cela : nous avons découpé l’histoire de l’Univers en tranches, en classant les galaxies selon leur distance (sachant que la lumière met du temps pour nous parvenir, plus les galaxies sont loin de nous, plus on les voit dans le passé), puis nous avons mesuré les distorsions de l’espace et du temps dans chacune de ces tranches, pour les comparer avec les prédictions d’Einstein.
Lentillage gravitationnel
Pour ce faire, nous avons utilisé un outil très puissant, appelé « lentillage gravitationnel ». Lorsque la lumière émise par des galaxies lointaines voyage dans l’Univers, elle ressent les déformations de l’espace et du temps, qui courbent sa trajectoire, un peu comme une balle de mini-golf qui serait déviée par les aspérités du parcours – sauf que dans la théorie d’Einstein, ce ne sont pas seulement les distorsions de l’espace qui courbent la lumière, mais aussi celles du temps. On appelle cette déviation de la lumière « lentillage gravitationnel ».
La conséquence immédiate de ces déviations est que les galaxies que l’on observe apparaissent légèrement déformées. En corrélant des millions de galaxies dans le ciel, des missions comme le Dark Energy Survey sont capables de mesurer ces déformations des galaxies.
Jusqu’ici, les observations du Dark Energy Survey ont été utilisées par la communauté scientifique pour mesurer la distribution de matière dans l’Univers, c’est-à-dire comment la matière qui forme les étoiles, les nébuleuses, etc. est répartie dans le cosmos.
Cette « distribution » a ensuite été comparée avec la valeur théorique calculée dans le modèle standard de la cosmologie. Comme ce modèle, et donc la prédiction théorique, dépend de la distribution de matière aux premiers instants de l’Univers, les données du satellite Planck (une expérience qui mesure le fonds cosmique micro-onde) ont été utilisées pour fixer ce paramètre.
La comparaison entre théorie et observation a alors montré que la matière est un peu moins agglutinée que prévu, un peu moins densément distribuée. Le désaccord entre la mesure et la prédiction du modèle standard n’est toutefois pas assez grand pour remettre le modèle en question. Mais il indique que quelque chose d’intéressant pourrait se passer dans ces données.
Mesures des distorsions de l’espace et du temps
C’est pourquoi, nous avons décidé d’utiliser dans notre étude ces mêmes observations faites par le Dark Energy Survey, mais pour mesurer directement les distorsions de l’espace et du temps, et ceci à différents moments de l’histoire de l’Univers. Ceci nous a permis d’identifier d’où vient le désaccord entre la théorie du modèle standard et les observations de la répartition de matière dans l’Univers (et donc l’accord entre la théorie de la relativité générale d’Einstein et ce que l’on observe réellement).
Nous avons trouvé que loin dans le passé (il y a 6 milliards à 7 milliards d’années), les distorsions sont en accord avec la théorie d’Einstein. Par contre, plus récemment (entre 3,5 milliards et 5 milliards d’années), les distorsions sont plus petites que prévu, les puits gravitationnels sont moins profonds que prédits par la théorie d’Einstein.
Ceci est particulièrement intéressant, car c’est dans cette même période que l’expansion de l’Univers s’est accélérée. Cette observation d’une expansion qui commence à s’accélérer, il y a environ 5-6 milliards d’années, a été faite pour la première fois en 1998 et a bouleversé notre compréhension de l’Univers.
Aujourd’hui, deux pistes sont explorées pour expliquer cette accélération de l’expansion. La première consiste à rajouter dans notre Univers une nouvelle forme d’énergie, l’« énergie sombre », qui serait responsable de l’accélération.
La deuxième postule que les lois de la gravitation sont différentes en fonction de la distance qui sépare les objets dans l’Univers : la relativité générale d’Einstein décrirait mieux les « courtes » distances, mais ne s’appliquerait plus à l’échelle de l’Univers.
Si cette seconde hypothèse est la bonne, alors on s’attend à voir des signatures de cette gravitation « modifiée » (par rapport à la relativité générale) dans nos observations du ciel : nos mesures des distorsions de l’espace et du temps pourraient être l’une de ces signatures.
Observations plus précises
Pour pouvoir trancher, il est maintenant nécessaire de refaire ces mesures, avec plus de données, plus précises.
Nous préparons actuellement l’analyse des données acquises par le satellite Euclid, qui permet de mesurer très précisément la forme des galaxies puisqu’il est en orbite et s’affranchit ainsi des perturbations liées à la traversée de l’atmosphère terrestre. Ceci devrait nous permettre de réduire les incertitudes de mesures et ainsi de déterminer si le désaccord persiste et se creuse, ou si, au contraire, il disparaît – ce qui confirmerait la validité de la théorie d’Einstein jusqu’aux plus grandes échelles de distances dans l’Univers.
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