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Marie Stuart, quand la vie d’une reine ne tient qu’à la robustesse d’un code secret [1]

['Cécile Pierrot']

Date: 2025-01-09 15:29:09+00:00

Découvrez l’histoire tragique de Marie Stuart, reine d’Écosse, qui fut condamnée à mort pour haute trahison par la couronne d’Angleterre. La preuve du complot a été apportée par le décryptage des lettres échangées entre les conspirateurs. Une histoire redécouverte par un projet de recherche réunissant historiens, cryptographes, et experts en intelligence artificielle.

1587, château de Fotheringhay au cœur de l’Angleterre : ce n’est qu’au troisième coup de hache que le bourreau, ivre, parvient à décrocher la tête de la reine d’Écosse. C’est le cou de Marie Stuart qui vient de rompre, comme un fil qui lâche, en raison d’un code secret qui avait lui-même été cassé.

Marie Stuart était coupable de haute trahison. Elle avait pris part au complot visant à assassiner la reine d’Angleterre, Elizabeth, sa cousine. L’Angleterre avait intercepté des lettres échangées entre Marie et les autres conspirateurs mais Marie s’était sentie protégée car elle avait pris des précautions : les lettres étaient chiffrées, c’est-à-dire protégées par un code secret. Cela signifie qu’un regard naïf ne pouvait y voir qu’une succession de symboles inintelligibles. Comment la reine Elizabeth pouvait-elle alors y lire la preuve du complot ?

Nouveaux décryptages de Marie Stuart en 2023

Wikimedia

En 2023, une cinquantaine de lettres perdues relatives à Marie Stuart ont pu être réattribuées à leurs auteurs. Elles étaient conservées à la Bibliothèque nationale de France mais n’étaient liées ni à une époque correcte ni au bon contexte géographique, faute de date, de signature et surtout de contenu lisible. Une équipe de déchiffreurs étrangers qui arpentaient Internet à la recherche de documents numérisés et codés les ont ainsi trouvées. Grâce à leur décryptage, c’est-à-dire à la méthode qui permet de redécouvrir les mots cachés derrière les symboles, 55 lettres ont pu être reliées à leur corpus originel. Les techniques utilisées sont similaires à un projet de recherche de plus grande ampleur, réunissant historiens, cryptographes, et experts en intelligence artificielle. Ce projet que je porte et dont l’objectif est à terme de fournir un outil de lecture et de déchiffrement de textes manuscrits chiffrés et anciens se nomme Back In Time. Il a reçu en novembre le prix de l’innovation du magazine Historia, et le grand prix du jury Historia 2024.

La reine exilée, veuve et prisonnière

Marie, orpheline de père à une semaine, devient reine d’Écosse à 9 mois, en 1542, dans un contexte de guerres entre l’Écosse catholique et l’Angleterre protestante. Après la mort de son père, le roi d’Angleterre Henry VIII cherche à marier son fils pour unir les royaumes, mais l’Écosse préfère une alliance avec la France. En réponse, Henry VIII attaque l’Écosse. À 6 ans, Marie est envoyée en France pour sa sécurité et devient reine de France en épousant François II à 16 ans, mais celui-ci meurt rapidement. Veuve à 18 ans, elle revient en Écosse où la noblesse protestante se détourne d’elle.

Marie se remarie avec un homme cruel et violent, qui assassinera son secrétaire. Son mari est retrouvé mort dans des circonstances suspectes, et Marie, maintenant veuve deux fois et mère d’un fils, se remarie encore. Cependant, la noblesse écossaise la contraint à abdiquer en faveur de son fils. Elle tente de récupérer le trône avec 6 000 hommes, mais échoue et se réfugie en Angleterre. Là, sa cousine Elizabeth l’emprisonne, craignant que Marie, catholique, ne fasse figure de rivale pour le trône anglais, où les catholiques la soutiennent comme leur véritable reine : Elizabeth est de lignée plus directe, mais elle est issue d’un deuxième mariage du roi Henry VIII que le pape n’a pas permis. Officiellement cependant, Elizabeth emprisonne Marie en raison du meurtre de son second mari.

Marie passe dix-huit années privée de liberté, tandis que son fils, élevé par ses ennemis, apprend à la détester.

Le complot Babington

Canva, DreamLab

Canva, DreamLab

Nous sommes en 1586, Marie a 44 ans. Elle n’a plus aucun contact avec l’extérieur lorsqu’elle reçoit pourtant un surprenant paquet de lettres. Ces lettres ont été emballées dans une poche de cuir, cachée elle-même dans une bonde creuse qui ferme une barrique de bière livrée au manoir. Elle est certes privée de liberté, mais Marie n’est pas maltraitée. Ce procédé qui consiste à cacher l’existence d’un message s’appelle la stéganographie.

Les lettres de Marie attendaient à l’ambassade de France à Londres, en quête d’un moyen de contourner ses geôliers. Gifford, un catholique anglais, se porte volontaire en 1585 pour aider Marie. Il se rapproche de l’ambassade de France et, avec l’aide d’un brasseur local, il parvient à lui faire passer son courrier.

Mais Gifford n’est pas seul. En mars 1586, Babington, un jeune catholique, forme une conspiration pour libérer Marie, tuer Elizabeth et placer Marie sur le trône anglais. En juillet, ils parviennent à entrer en contact avec Marie grâce à l’aide miraculeuse de Gifford. Marie a déjà eu écho du complot par ses alliés français, et demande des précisions à Babington, qui lui expose son plan. Il légitime l’assassinat d’Elizabeth par l’excommunication de celle-ci par le pape en 1570.

Bien sûr, prudent, Babington utilise un code secret – que l’on appelle aussi chiffrement – non pas pour dissimuler l’existence d’un message, mais pour brouiller le sens de celui-ci. La lettre ressemble alors à une succession de symboles variés qui rendent le plan de Babington inintelligible à tout espion. La table de chiffrement de Marie fonctionne ainsi : chacune des lettres de notre alphabet correspond à 4 symboles différents, tous synonymes, que l’on peut choisir selon son envie pour chiffrer une lettre. D’autres symboles ont pour valeur non pas une mais deux lettres, comme le fréquent « TH » en anglais. Plus compact encore, une centaine de symboles représentent des mots courants, des titres, des lieux, comme « The pope » ou « Scotland ». Un symbole possède le pouvoir de faire doubler la lettre du symbole qui le suit. Enfin, et c’est terrible pour un déchiffreur ennemi, des symboles pièges, appelés symboles nuls ne sont présents que pour faire diversion. Ils ne représentent rien, ni ponctuation, ni espace, et sont au nombre d’une vingtaine.

Pour déchiffrer, Marie utilise la même table de correspondance. Elle est aidée dans cette tâche par trois secrétaires : Nau de la Boisselière qui est vraisemblablement le créateur de ce chiffre et qui rédige la correspondance de Marie sous sa dictée, en français ; Curle, qui traduit en anglais ; et Pasquier, les petites mains qui chiffrent et déchiffrent le courrier.

Cécile Pierrot

Décryptage et agents doubles

Mais Gifford est un traître, un agent double ! Avant son retour en Angleterre, il avait écrit à Walsingham, le premier secrétaire de la reine Elizabeth pour se mettre à son service. Son passé de prêtre catholique lui permettait de jouer un double jeu aux yeux de Marie Stuart. L’idée d’approcher l’ambassade de France venait de Walsingham, et chaque fois que Gifford faisait passer un courrier de Marie, il le remettait en réalité à Walsingham, qui copiait le contenu des lettres sans que Marie ne s’en aperçoive.

Lorsque la lettre de Babington arriva, Walsingham la présenta à son meilleur déchiffreur, Phelippes. Le message de Babington autorisait l’assassinat d’Elizabeth, mais Marie stipulait que cela ne devrait se faire que si elle était d’abord libérée. Walsingham, insatisfait, ordonna à son cryptographe de se faire passer pour Marie et de forger un post-scriptum chiffré demandant subtilement le nom des « gentilshommes qui accompliront notre dessein ». Et Babington les donna tous.

Wikimedia

L’histoire de Marie Stuart nous prouve tragiquement que l’utilisation d’un code secret peut s’avérer plus dangereuse qu’aucune procédure de chiffrement. En effet, Marie comme Babington se sont autorisés à décrire précisément leurs intentions. La confiance dangereuse qu’ils ont placée dans cette technique les a tous les deux conduits à leur mort.

Babington ainsi que tous les complotistes passèrent aux aveux. L’historien William Camden rapporte l’horreur de leurs exécutions : « on coupa la corde qui les pendait, on les émascula, ils furent étripés vivants et conscients, puis écartelés ».

Marie cependant bénéficia d’un procès ; toutefois sans avocat ni témoin comme c’est le cas pour une accusation de trahison. Sa principale défense consista à nier tout rapport avec Babington, pensant, à tort, qu’elle serait protégée par son chiffrement. Des extraits déchiffrés de sa correspondance furent lus à son audience. Elle fut condamnée à mort et décapitée à 44 ans.

Méthodes de cryptanalyse

La cryptanalyse, c’est-à-dire l’art d’attaquer un code secret, est ma spécialité tout comme celle de Phelippes. Ne trouvant aucune information sur les méthodes utilisées par Phelippes, j’ai longtemps cru qu’il avait fait preuve de beaucoup d’observations : compter les symboles, étudier leur fréquence, analyser les liens de proximité entre les symboles (certains sont souvent proches, d’autres ne se retrouvent jamais côte à côte…) pour en tirer des conclusions en comparaison avec des statistiques de la langue anglaise du XVIe siècle. C’est tout du moins ce que nous ferions sans ordinateur, et cela prendrait quelques semaines ou mois.

Mais Phelippes savait décrypter en quelques heures ! C’est que la vérité, hélas, est moins romantique qu’un génie isolé : Walsingham avait placé Morgan – un second agent double – auprès de Marie Stuart. Morgan concevait les tables de chiffrement utilisées par le secrétaire de Marie, et il était également un ami proche de Phelippes. De ce fait, doit-on être surpris que Phelippes ait su briser le code secret de Marie ? Malgré le mythe qui s’est créé autour d’elle, tout porte à croire que la reine d’Écosse ait davantage été victime d’un piège que des talents d’un déchiffreur.

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[1] Url: https://theconversation.com/marie-stuart-quand-la-vie-dune-reine-ne-tient-qua-la-robustesse-dun-code-secret-244223

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