(C) The Conversation
This story was originally published by The Conversation and is unaltered.
. . . . . . . . . .
Mayotte : un modèle agricole informel et résilient [1]
['Antoine Hochet', 'Victor Bianchini']
Date: 2025-01-09 15:21:49+00:00
Face au cataclysme provoqué par le cyclone Chido, l’économie informelle agricole joue un rôle compensatoire. L’île peut compter sur son système agroforestier traditionnel, le jardin mahorais, ainsi que sur des travailleurs informels représentant la grande majorité de la main-d’œuvre agricole. Avec quel avenir ?
Avant le passage de Chido, l’objectif d’atteindre la souveraineté alimentaire à Mayotte d’ici 2030 pouvait déjà sembler trop ambitieux. Après le cyclone, cet objectif paraît désormais utopique. L’attention portée sur le nombre de pertes en vies humaines occulte la situation dramatique de nombreux travailleurs précaires, français ou étrangers, avec ou sans papiers, pourtant essentiels à l’économie informelle de l’île.
Leur sort, incertain, laisse présager un choc considérable pour l’économie de l’île et surtout, pour sa sécurité alimentaire. En effet, la quasi-totalité des productions agricoles est dévastée. La perte des récoltes et la transformation des paysages laissent présager des accaparements opportunistes de terres arables. Elles exacerbent les tensions entre ayant droits et occupants précaires, désorganisant les circuits informels de production, ceci au détriment de la sécurité alimentaire des plus vulnérables.
Mayotte produit plus d’un tiers de sa consommation alimentaire
Comme d’autres économies insulaires isolées et difficiles d’accès, l’économie de Mayotte est particulièrement sensible aux aléas climatiques, notamment en ce qui concerne son agriculture. Lors de son discours de 2017 sur les Assises des outre-mer, le président de la République a insisté sur l’importance de réduire la dépendance alimentaire. À Mayotte, celle-ci s’élevait à 27 % en 2012 et aurait grimpé à 50 % en 2016.
En mai 2022, l’Agence de la transition écologique a néanmoins confirmé que Mayotte suivrait la tendance générale des départements et régions d’outre-mer (DROM) à une hausse de la dépendance alimentaire aux importations. Pourtant, l’île semble parvenir à limiter cette dynamique. Mayotte produit entre 30 % et 40 % de sa consommation alimentaire. Contrairement aux autres DROM : entre 76 % et 87 % de leurs besoins sont couverts par les importations, voire 98 % à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Préférence des agriculteurs pour l’informel
La relative résilience de l’agriculture locale est significative, bien que 80 % de sa production ne soit pas déclarée. Le nombre de ménages agricoles déclarés a été divisé par deux entre 2017 et 2020 – passant de 9 108 à 4 315. Ce phénomène s’expliquerait par la préférence des producteurs pour le maintien dans l’informalité.
Les personnes en situation irrégulière ont principalement recours à l’agriculture comme moyen de subsistance. Elles privilégient des productions de banane ou de manioc qui ont des cycles courts. Ces travailleurs informels constituent la grande majorité de la main-d’œuvre agricole. Ainsi, rares sont les Mahorais qui cultivent aujourd’hui eux-mêmes leurs terres.
Read more: En direct de Mayotte : comprendre les pénuries qui affectent l’île
Si l’agriculture ne contribue qu’à une faible part de l’économie formelle de Mayotte, sa fonction sociale et nourricière reste cruciale. Elle garantit une certaine autonomie alimentaire pour une grande partie de sa population. Ce modèle repose principalement sur une agriculture vivrière non mécanisée, largement soutenue par une main-d’œuvre immigrée. Cette dernière est le plus souvent rémunérée à la tâche ou selon des accords oraux de métayage.
Jardins mahorais et petites exploitations agricoles
Cette relative autonomie alimentaire s’explique en partie par l’existence d’un système agroforestier traditionnel particulièrement productif et résilient : le « jardin mahorais ». Il mêle production vivrière, maraîchère, arbres fruitiers et couvrent 90 % des surfaces cultivées. Ces jardins sont fondés sur la complémentarité des espèces végétales et des coutumes mahoraises. Les manguiers et les cocotiers servent par exemple à délimiter les parcelles.
Ce modèle agricole a permis d’éviter des pénuries alimentaires majeures lors des blocus de l’île en 2011, 2016 et 2018. Ces exploitations agricoles sont à 79 % des micro exploitations en 2020. Elles produisent principalement des fruits, des tubercules et des fleurs : bananes, manioc, tomates, noix de coco, mangues, vanille ou ylang-ylang.
Rareté du foncier
Malgré son rôle essentiel, le secteur agricole fait néanmoins face à des défis structurels. La rareté du foncier et d’infrastructures, ainsi que la concurrence croissante entre espaces agricoles, urbains et protégés, créent des tensions. Mayotte reste le département français le plus densément peuplé après l’Île-de-France. Et seuls 23 % des agriculteurs déclarent disposer d’un titre de propriété ou d’un bail écrit. Ce désordre foncier freine l’installation des jeunes et compromet l’accès aux financements publics et bancaires.
Read more: La capacité d’adaptation, un atout des territoires ultrapériphériques face aux crises
Pourtant, le potentiel de l’agriculture mahoraise est réel. Le plan de souveraineté témoigne de l’ambition de Mayotte d’atteindre la souveraineté alimentaire d’ici 2030. De l’avis de tous, la reconstruction de Mayotte sera longue et difficile. Si l’idée de concevoir un modèle alternatif d’action publique pour relever Mayotte semble évidente, la définition de ses contours et sa mise en œuvre restent aujourd’hui un défi colossal.
[END]
---
[1] Url:
https://theconversation.com/mayotte-un-modele-agricole-informel-et-resilient-246596
Published and (C) by The Conversation
Content appears here under this condition or license: Creative Commons CC BY-ND 4.0.
via Magical.Fish Gopher News Feeds:
gopher://magical.fish/1/feeds/news/theconversation/