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Comment Javier Milei transforme l’Argentine [1]
['Sebastian Santander']
Date: 2025-01-05 09:57:02+00:00
En matière économique, Javier Milei s’efforce de mettre en œuvre un programme ultralibéral qui se traduit par une réduction a minima du rôle de l’État et dont les effets plongent les classes les plus vulnérables dans la pauvreté. Dans le même temps, sur le plan sociétal, il tient fermement une ligne très conservatrice, se montre compréhensif à l’égard de la dictature qui a dirigé l’Argentine de 1976 à 1983 ; et au niveau international, il se détourne de l’ONU et aligne son pays sur les quelques rares États qui incarnent à ses yeux « les valeurs occidentales traditionnelles ».
Le 10 décembre dernier, Javier Milei a célébré sa première année au pouvoir, se félicitant des succès macroéconomiques qu’ont engendrés ses réformes – des réformes soutenues par les grands chefs d’entreprise du pays, les institutions financières internationales, les marchés financiers, les agences de notation et certains gouvernements étrangers.
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Toutefois, pour évaluer pleinement l’impact de ses actions, un panorama plus global s’impose. Il convient d’examiner l’ensemble du bilan de la première année de Milei à la tête du pays dans tous les domaines principaux, de l’économie au social en passant par les droits humains, la démocratie ou encore les relations extérieures.
L’arrivée au pouvoir de Javier Milei : profil, programme et contexte politique
C’est en s’affichant comme un outsider anti-système et en déployant une critique acerbe à l’égard des partis traditionnels et des élites politiques du pays que Javier Milei, leader du parti La liberté avance, a remporté l’élection présidentielle de 2023. Une stratégie de campagne semblable à celles qui avaient porté au pouvoir Donald Trump (en 2016) ou Jair Bolsonaro (en 2018) dans leurs pays respectifs. D’ailleurs, le discours populiste de Milei sur sa volonté de combattre la « caste » (élite) ou les « curros » (mécanismes d’abus et de corruption) du système a fait écho à celui élaboré en 2016 par Trump sur son intention d’« assécher le marécage » (drain the swamp) de Washington.
Milei s’est également présenté comme un anarcho-capitaliste, une étiquette qui traduit son désir d’une société argentine dénuée d’État et où les échanges économiques et les droits individuels seraient assurés par un marché libre. C’est la raison pour laquelle il a fait campagne avec une tronçonneuse à la main, symbole de sa détermination à éradiquer les « abus de la caste », à réduire le rôle de l’État à son strict minimum ainsi qu’à « déraciner » la bureaucratie et les structures gouvernementales, qualifiées d’« encombrantes » et de « corrompues ».
Il a proposé un programme de campagne ultralibéral – inspiré des politiques du gouvernement Menem des années 1990 – promouvant des mesures chocs comme une réduction massive des dépenses publiques et des impôts, la dollarisation de l’économie et la suppression de la banque centrale, une diminution des aides sociales, une privatisation généralisée des services publics (y compris la police, la justice et la défense nationale) ou encore une déréglementation massive des marchés, y compris celui de la vente d’organes. Pour attirer l’électorat ultraconservateur, Milei a aussi promu un agenda climatosceptique, et s’est dit favorable au port d’armes et opposé à l’avortement, à l’égalité de genre et à la protection des femmes ou à l’éducation sexuelle dans les écoles.
Alors que les observateurs nationaux doutaient de ses chances de succès, en raison de ses idées jugées trop extrêmes, de son manque d’expérience et de l’absence d’un solide appareil politique, Milei fut élu avec près de 56 % des voix au second tour.
Cette victoire, inattendue pour beaucoup, résulte d’une conjonction de facteurs, notamment de la crise économique et sociale, de la profonde inflation (210 %), d’un pouvoir d’achat en berne, du total désenchantement de la société argentine vis-à-vis des partis politiques traditionnels ainsi que de la présence constante de Milei sur les réseaux sociaux et dans les shows télévisés, qui a facilité sa visibilité et construit sa popularité.
« Thérapie de choc » et conséquences
Bien que certaines de ses propositions les plus extrêmes aient été abandonnées (vente d’organes) ou remises à plus tard (dollarisation de l’économie), Milei n’a cessé d’œuvrer, depuis son investiture, à la mise en place d’une « thérapie de choc ».
Fin décembre 2023, il a adopté par décret présidentiel un plan de « nécessité et d’urgence » afin d’entamer une diminution rapide des dépenses publiques et des subventions aux services publics, de déréguler le marché du travail, de l’énergie (électricité, gaz), de l’eau ou des transports publics, et de « rationaliser » les effectifs de l’État.
Pour institutionnaliser ces premières réformes et rétrécir davantage l’État, le gouvernement Milei a ensuite fait adopter par le Congrès son vaste projet de loi dit « omnibus » comprenant des réformes fiscales, des déréglementations, des privatisations, des libéralisations unilatérales du commerce et des incitations fiscales visant à attirer les investissements directs étrangers dans les ressources nationales (gaz, lithium, pétrole).
L’exécution de ces réformes a eu pour conséquence de faire chuter de 15 % les dépenses publiques, de dégager un excédent budgétaire – ce que l’Argentine n’avait plus connu depuis 2008 – ainsi que de faire baisser l’inflation ; l’inflation mensuelle passe effectivement de 20,6 % en janvier à 2,4 % en novembre 2024 et l’inflation annuelle, qui demeure encore élevée, de 211 % en décembre 2023 à 107 % en octobre 2024.
Les revers de la médaille de ces retombées macroéconomiques sont nombreux. En réalité, la réduction de l’inflation est en grande partie redevable à la baisse de la consommation interne, conséquence directe des réformes économiques sur la demande. Ces ajustements ont, d’après le FMI, occasionné en 2024 une contraction du PIB argentin de 3,5 %. Par ailleurs, ils ont non seulement divisé par deux le nombre de ministères et délesté la fonction publique de plus de 33 000 fonctionnaires, mais aussi désinvesti la recherche scientifique et l’information publique – avec la rétrogradation du ministère de la Science en secrétariat et la fermeture de l’agence de presse nationale Télam –, réduit le financement scolaire et diminué les aides sociales.
Ces coupes budgétaires restreignent également l’accès aux services de santé et accélèrent la détérioration des infrastructures hospitalières tout en affaiblissant les groupes les plus fragiles. Sans compter que d’autres initiatives, comme le blocage du rattrapage des retraites, tendent à affaiblir davantage ces populations vulnérables. Par ailleurs, cette thérapie de choc a suscité une augmentation de la proportion de personnes travaillant dans l’économie informelle, vivant sous le seuil de pauvreté et se trouvant en situation d’indigence, qui sont passées, entre 2023 et 2024, respectivement de 42 à 43 %, de 41,7 à 52,9 % et de 11,9 à 18,1 %.
Démocratie, mémoire et droits humains sous tension
Le rôle de Milei ne se limite pas uniquement à procéder à des coupes budgétaires et à gérer l’économie. Sa mission vise aussi à transformer radicalement les structures politiques et sociales du pays.
Ce n’est pas anodin s’il s’est appuyé sur des forces politiques nationalistes, profondément conservatrices et révisionnistes pour remporter la présidentielle de 2023. Cette alliance suscite des inquiétudes, notamment en ce qui concerne les droits humains et la stabilité démocratique, car elle aspire à ébranler le consensus historique et social sur les exactions de la dernière dictature (1976-1983) pour réécrire la mémoire collective. Elle n’hésite pas à minimiser les crimes et les violations massives des droits humains dont s’est rendue coupable la junte militaire tout en affirmant que la dénonciation de ces crimes relève d’une « construction sociale » alimentée par des « mouvements de gauche ».
Milei qualifie de simples « excès » les exactions des forces policières et militaires qui ont causé à l’époque la disparition de 30 000 personnes. Certains membres de son parti vont jusqu’à affirmer que ce nombre de victimes – validé par des organismes publics et organisations des droits de l’homme – serait un « mythe ». Ils n’hésitent pas à mettre en doute les témoignages des victimes de la dictature, à rendre visite en prison aux anciens tortionnaires et à considérer la violence de la dictature comme nécessaire. Le président Milei discrédite volontiers les organisations de défense des droits humains en qualifiant leurs activités de frauduleuses (« curro »).
Ces attaques s’inscrivent dans une stratégie plus large qui s’apparente à une « bataille culturelle » contre les idées progressistes et les mouvements qui les incarnent. Il n’est donc pas surprenant qu’il tienne le même discours violent et méprisant à l’encontre de toute organisation engagée pour des causes féministes, sociales, environnementales ou liées aux droits des minorités, notamment des LGBT+. Il s’en prend également aux partis politiques traditionnels, aux syndicats, aux médias et même au Congrès, incarnation du pluralisme démocratique. Ces diatribes populistes, démultipliées sur les réseaux sociaux, contribuent à saper la confiance du public envers les acteurs intermédiaires et les institutions, à entretenir la profonde polarisation ambiante de la société et à éroder la tolérance mutuelle, pierre angulaire de la stabilité de la démocratie.
Poursuite de la stratégie de polarisation à l’échelle internationale
Cette stratégie de division et de polarisation politique anime également la politique extérieure du gouvernement argentin, persuadé que l’Occident, qu’il érige en modèle, est en danger. Selon Milei, ce dernier est menacé de l’intérieur par l’idéologie du « marxisme culturel » qui imprègne les individus dès le plus jeune âge à travers les systèmes éducatifs et les médias. C’est pourquoi Milei estime être engagé dans une « bataille culturelle » contre le marxisme qui dépasse le cadre argentin.
Il se voit comme un défenseur de l’Occident, une position qu’il partage avec des figures ultraconservatrices ou d’extrême droite, comme Santiago Abascal (le leader du parti d'extrême droite espagnol Vox), Bolsonaro ou Trump. Cette vision binaire du monde influence sa politique étrangère et l’amène à repenser les alliances internationales de l’Argentine et à déployer une diplomatie de confrontation.
Au lieu de diversifier et équilibrer les relations extérieures du pays, il les enferme dans une relation étroite avec les États-Unis et Israël, et se fâche avec ses voisins latino-américains, mais aussi avec des partenaires historiques comme l’Espagne ou le Brésil. Le péril viendrait également de l’extérieur, principalement des régimes autoritaires et oppressifs (Chine, Iran, Russie…) qui, en tant que rivaux stratégiques et idéologiques de l’Occident, menaceraient ses valeurs libertariennes. Les attaques de Milei à leur encontre créent de fortes tensions avec des acteurs ayant acquis une place centrale dans l’économie argentine, comme la Chine ; bien que la réalité économique s’est rapidement rappelée à l’Argentine, incitant le président argentin à atténuer ses critiques pour bénéficier des investissements chinois.
Il nage aussi à contre-courant de la traditionnelle diplomatie argentine, historiquement favorable au multilatéralisme et aux organisations internationales de la gouvernance mondiale, qu’il conçoit comme des mécanismes bureaucratiques, inefficaces et animés par un « agenda idéologique ». Certaines des initiatives des Nations unies, telles que le « Pacte pour le futur de l’ONU » sur la réforme de ses institutions ou « l’Agenda 2023 » sur le développement durable, incarneraient un « marxisme moderne », affecteraient la liberté économique de ses membres et limiteraient la souveraineté des États.
Encore trois ans pour approfondir la miléisation de l’Argentine
Au terme de cette première année de mandat, le bilan économique du gouvernement Milei est pour le moins mitigé alors que sur le plan social, ses réformes appauvrissent une société déjà bien mal en point. Son révisionnisme historique et ses attaques disqualifiantes à l’encontre des acteurs intermédiaires et du Congrès fragilisent la démocratie, d’autant que son discours populiste massivement relayé par les réseaux sociaux creuse davantage les divisions internes. Sa « bataille culturelle » qu’il cherche à exporter à l’international dessert l’Argentine en l’isolant et en la coupant d’un grand nombre de partenaires, l’enferme dans sa proximité idéologique avec les États-Unis de Donald Trump.
En un an, Milei a déjà commencé à grandement bousculer la cohésion sociale, les acquis démocratiques et la bonne entente du pays avec le monde extérieur. Qu’en sera-t-il après quatre ans de pouvoir ?
Je remercie mes collaborateurs, MM. Bricart et Arnoldy, pour leur contribution à la recherche documentaire qui a enrichi la rédaction de cet article.
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