(C) The Conversation
This story was originally published by The Conversation and is unaltered.
 . . . . . . . . . .
Sécurité des établissements scolaires : toujours plus de dispositifs de contrôle ? [1]
['Pascal Clerc']
Date: 2024-10-23 14:37:46+00:00
Alors que le numérique ouvre la classe sur le monde, les établissements scolaires ne cessent de renforcer leurs clôtures. L’objectif affiché est d’assurer la sécurité des élèves. Mais la multiplication de portails, grilles, tourniquets, sas, badges, caméras est-elle toujours gage de protection des élèves ? La sécurisation rime-t-elle forcément avec plus de sécurité ?
Un des objectifs prioritaires d’Anne Genetet, l’actuelle ministre de l’Éducation nationale, est de « sécuriser les établissements pour que demain, l’école soit sûre pour tous les élèves et les enseignants ».
Une école sûre, c’est-à-dire préservée des dangers : qui pourrait contester cet objectif ? Mais les démarches de « sécurisation », le renforcement des dispositifs et technologies de contrôle sont-ils vraiment une garantie de sécurité ?
Quelques éléments d’éclairage à partir de l’enquête Émanciper ou contrôler ? Les élèves et l’école au XXIᵉ siècle (éd. Autrement).
L’architecture scolaire : un héritage historique
Pour comprendre sur quelles bases s’organisent les relations entre les établissements scolaires et leurs environnements, il faut remonter au moins aux dernières décennies du XIXe siècle. Ce que l’architecture révèle, diverses recommandations officielles le préconisent.
Il s’agit de séparer, de mettre à distance, en particulier dans les espaces urbains où l’extérieur est perçu comme une menace ou une possible perturbation. Des murs, des grilles, la plantation de haies… tout est alors bon pour couper les écoles de ce qui les entoure.
Michel Foucault, dans Surveiller et punir, en 1975, note que la clôture est une des caractéristiques des institutions disciplinaires dont, selon lui, nos écoles font partie. Au fil du XXe siècle et, en particulier après mai 1968, la pression se relâche. Des établissements totalement ouverts sont construits et, en relation avec des conceptions pédagogiques héritées des pratiques alternatives, l’extérieur est pensé comme une ressource.
Read more: L’école au XXIᵉ siècle, espace d’émancipation ou de contrôle ?
L’embellie est de courte durée. À partir de l’automne 1990, dans un contexte de grève et de mouvements lycéens parfois violents, la question de la fermeture des établissements scolaires prend place dans les médias et le discours politique ; elle n’en sortira plus. Devant les députés, le 17 octobre 1990, le ministre de l’Éducation nationale Lionel Jospin déclare :
« Nous souhaitons que les écoles demeurent à l’abri, qu’elles soient des lieux d’éducation et de savoir, où les jeunes soient le plus possible préservés des convulsions du monde extérieur. »
C’est précisément cette année-là que Gilles Deleuze identifie le développement de « sociétés de contrôle ». Plus que la clôture, une marque de la « société disciplinaire » foucaldienne, le contrôle se caractérise par des technologies d’identification et de suivi à l’échelle individuelle. Dans les établissements scolaires, clôture et contrôle se combinent pour de nouvelles modalités de gouvernement des élèves.
De la sécurité à la sécurisation
C’est dans ce contexte que, progressivement, s’est développée l’idée de la « sécurisation ». Sécuriser, sécurisation, sécuritaire sont des mots récemment apparus dans notre lexique. Selon le Dictionnaire historique de la langue française, c’est en 1968 – ironie des temporalités – qu’apparaît le mot sécurisation.
Le sens change progressivement pour passer d’un sentiment et d’un effet sur une personne (sécuriser quelqu’un, le faire évoluer vers un sentiment de sécurité) à une action, souvent matérielle, qui consiste à rendre un espace – parfois virtuel lorsqu’il s’agit des réseaux – plus sûr.
Pour les établissements scolaires, la sécurisation renvoie en général à des matérialités qui associent la fermeture et le contrôle : portails, grilles, tourniquets, sas, badges, caméras… Demain peut-être caméras thermiques, dispositifs de reconnaissance faciale et détecteurs de métaux puisque, selon la ministre, il faudrait encore sécuriser.
Ce mouvement s’est sans cesse renforcé depuis trente ans. Il semble inéluctable et les quelques établissements scolaires qui restent ouverts à leurs environnements font figure d’anomalies. Mais est-il justifié et débouche-t-il sur des résultats efficaces ?
Ce sont les questions qu’il ne faudrait pas poser. Comme le note le philosophe Giorgio Agamben, la sécurisation fonctionne comme un « argument d’autorité » ; elle ne se discute pas, remettant en cause la fonction de la recherche.
Discutons-là néanmoins. La question de la violence à l’école, de la violence de nos sociétés en général, est difficile à apprécier et fréquemment instrumentalisée. Domine l’idée de son développement et de l’« ensauvagement » d’une partie de la société.
Pourtant, les historiens s’accordent à constater une diminution importante de la violence, physique en particulier, au fil des siècles et ceux qui travaillent plus spécifiquement sur les lieux d’éducation montrent que malheureusement celle-ci n’y est pas nouvelle. Plus près de nous, dans leur enquête sur le climat scolaire, en 2022, Éric Debarbieux et Benjamin Moignard notent une stabilité, voire une diminution, des actes de violence dans les établissements scolaires depuis 2013.
Des enjeux de société
Il est plus facile de jouer sur nos peurs que de faire appel à la raison et aux travaux scientifiques. Les actions spectaculaires, les mesures de protection les plus visibles sont destinées à une médiatisation et relèvent de stratégies politiques. Elles ne sont parfois qu’une façade. Me revient à l’esprit la grille impressionnante de hauteur qui fermait l’entrée d’une école lyonnaise tandis qu’à quelques mètres, l’état piteux du grillage qui ceignait cette même école témoignait de passages répétés. En écho à cela, Debarbieux et Moignard dénoncent sans ambiguïté l’inefficacité de la fermeture physique des écoles en raison de la rareté des « violences d’intrusion ».
Hors certaines situations très particulières où la conjoncture nécessite des mesures de fermeture et de contrôle, la déferlante de nos peurs balaye toute interrogation sur la sécurisation des établissements scolaires et son efficacité.
Au fil de mes enquêtes, il m’est apparu que la question de la sécurité des élèves avait été déléguée à des spécialistes de la protection et des situations d’urgence. Il est pourtant impossible de faire abstraction d’enjeux éducatifs qui, par ailleurs, s’insèrent dans des enjeux sociétaux plus globaux. Qu’une porte soit ouverte ou fermée n’est pas anodin, que la surveillance de nos déplacements soit déléguée à une caméra, non plus.
La fermeture progressive des espaces urbains, que ce soit avec des quartiers fermés ou simplement des codes pour entrer dans les immeubles, a des effets sur la société urbaine. De la même manière, la combinaison de la clôture et du contrôle des élèves dans les établissements scolaires n’est pas sans relation avec la vie de la communauté scolaire.
Sur le plan pédagogique, on prône des liens, des ouvertures au monde tandis que sur le plan spatial et sécuritaire, on mobilise un tout autre vocabulaire autour du contrôle et de la fermeture. Deux champs déconnectés, deux catégories d’acteurs, deux domaines de valeur.
En abandonnant la question de la sécurité à des « spécialistes » du sujet et à des techniciens, on a perdu de vue l’essentiel : la présence humaine, la confiance, l’interconnaissance, le dialogue, au final l’éducation. La plupart de mes interlocuteurs m’ont dit qu’à leurs yeux, la sécurité des élèves et des personnels des établissements scolaires passait d’abord par une présence humaine accrue. Et c’est ce qui manque le plus dans nos écoles.
[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]
Les espaces sont politiques et les enjeux spatiaux ne sont jamais déconnectés des enjeux éducatifs dans un établissement scolaire. La communauté éducative doit se réapproprier la question de la sécurité et celle de la violence à l’école parce que ce sont aussi des questions pédagogiques qui ne peuvent se régler exclusivement par des mesures sécuritaires.
[END]
---
[1] Url: 
https://theconversation.com/securite-des-etablissements-scolaires-toujours-plus-de-dispositifs-de-controle-235807
Published and (C) by The Conversation
Content appears here under this condition or license: Creative Commons CC BY-ND 4.0.
via Magical.Fish Gopher News Feeds:
gopher://magical.fish/1/feeds/news/theconversation/