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Production audiovisuelle et IA : les craintes du remplacement [1]

['Manon Chatel', 'Marius Bertolucci']

Date: 2024-10-20 08:33:57+00:00

L’intelligence artificielle va bouleverser de fond en comble les modèles de production d’images. Le secteur du cinéma se trouve au cœur de ces mutations. Usera-t-il de son poids pour les empêcher ? À moins que de nouveaux entrants ne viennent perturber le jeu des entreprises en place…

Après le texte et l’image, l’année 2024 marque l’entrée de l’IA génératrice de vidéo avec les IA Sora d’OpenAI et de Veo de Google du côté étasunien, et de Vidu de Shengshu et de Dream Machine de Lumai AI du côté chinois. Pour une filière en plein doute après l’irruption d’IA de génération de texte ayant entraîné une grève historique de 148 jours des scénaristes et des acteurs à Hollywood en 2023, la génération de vidéo soulève de nouvelles questions pour un secteur déjà dans la tourmente. En effet, la généralisation de l’IA menace de rendre obsolète la majorité des métiers liés à l’image animée.

Une filière de 4,2 milliards d’euros

À ce jour, un simple prompt avec l’IA produit n’importe quels formats courts de vidéo (environ 1 min) avec des possibilités quasi infinies pour un coût marginal. Sans être à même de générer – pour le moment – un film complet, l’évolution rapide des IA génératrices de vidéos laisse présager que ce sera possible d’ici à quelques années, bouleversant ainsi toute une filière pesant 177 milliards de dollars (en 2019, impact économique direct de la production audiovisuelle estimée et 237 milliards indirects) dans le monde. En France, la valeur créée par la filière était estimée à 4,2 milliards d’euros en 2023, selon les données du Sénat. Prenons quelques exemples, attisant tout autant l’enthousiasme que les craintes.

L’IA Sora n’apporte pas de cohérence entre les vidéos produites. Ce fait semblait annoncer l’impossibilité d’une utilisation professionnelle. Pourtant, une attention aux prompts et de nombreux essais s’affranchissent de cette contrainte. Preuve en est : un premier clip de musique de 4 mins présentant un zoom infini pour la chanson « The Hardest Part ». Ce clip a été entièrement créé à partir de 55 clips individuels sélectionnés et assemblés sur les 700 générés.

Dans le domaine publicitaire, où la créativité n’est pas l’unique critère et les formats courts, les capacités de l’IA sont plus adaptées ; par exemple, Toys ‘R’ Us a présenté le premier spot produit avec l’IA Sora.

Le CNC au rapport

Si quelques louanges ont été émises, ce sont surtout les critiques sur la qualité du contenu, et plus encore, les conséquences sur les emplois qui se sont faits entendre. Sora s’est substituée à la production en réalisant 80 à 85 % du rendu final avant que n’intervienne la postproduction. Si cette réalisation par IA a nécessité le travail d’une vingtaine de professionnels (designers, artistes, marketeurs) qu’en sera-t-il à l’avenir ? Rappelons-nous qu’en juin 2022, l’IA de génération d’image DALL-E 2 faisait sa première couverture de magazine avec un numéro de Cosmopolitan. Le projet avait nécessité des journalistes du magazine, des membres d’OpenAI et l’artiste numérique Karen X Cheng. Désormais, la génération d’image d’une qualité professionnelle est dans les cordes de tout le monde… ou presque.

En 2024, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) s’est saisi des enjeux de l’IA (journée d’étude, création d’un observatoire, rapport). Pour estimer l’impact sur les métiers, une cartographie de la soixantaine d’usages présents et futurs de l’IA dans toutes ses filières (cinéma, audiovisuel et jeu vidéo)) a été conduite.

Il en ressort des opportunités (gain de productivité, stimulation de la créativité, nouveaux concepts et marchés) mais aussi des risques. Le CNC pointe le coût environnemental, la perte de diversité culturelle, la perte de savoir-faire et d’emplois. Notons que les doubleurs qui représentent 7 000 emplois en France et 4 000 au Québec se voient déjà concurrencés par les premiers doublages par IA. Le CNC souligne qu’actuellement l’IA est présente principalement dans la postproduction.

L’enthousiasme des sociétés de productions, les craintes des professionnels et les réactions du public

L’année 2024 marque une année charnière avec les confrontations autour de l’IA opposant les Anciens et les Modernes. Au Festival international du film d’animation d’Annecy, plusieurs œuvres réalisées en recourant à des IA génératives ont été sélectionnées, provoquant l’ire des réseaux sociaux et des huées dans les salles par un public constitué pour partie de professionnels et d’étudiants de la filière. Les échos se sont fait entendre jusque dans la presse internationale ou spécialisée.

Il en est de même pour le film Who Said Death Is Beautiful ? du Japonais Nakajima, intégrant des images de l’IA Stable Diffusion, laquelle est poursuivie en justice pour violations du droit d’auteur. Les réactions du public ont été similaires de l’autre côté de la Manche quand un cinéma de Londres s’est vu contraint d’annuler la première du film (à but non lucratif) The Last Screenwriter dont le scénario est écrit par ChatGPT.

Un fossé se creuse entre les réactions du public, des acteurs et professionnels de première ligne et les directions des studios de production. Pour ces derniers, l’IA semble être une bénédiction. Pour preuve, l’accueil a été enthousiaste lors des rencontres tenues fin mars entre OpenAI et les directions de Paramount, Universal et Warner Bros. Selon la spécialiste Claire Enders :

« On a l’impression que l’IA va révolutionner la réalisation des films, faire baisser les coûts de production et réduire fortement la demande d’images générées par ordinateur. »

Un coût de production divisé par plus de deux

Il est vrai que le faible coût de production du film The Creator, un blockbuster de 80 millions de dollars aux apparences d’un film à 200 millions de dollars grâce à la postproduction, a su marquer l’industrie. Du côté des films d’animation, le fondateur de DreamWorks, Jeffrey Katzenberg, estime :

« Au bon vieux temps, il fallait cinq ans et 500 artistes pour réaliser un film d’animation de classe mondiale. Bientôt, il ne faudra pas 10 % de cela. »

Ces propos font écho à l’analyse de l’entreprise de conseil Gartner qui estime que d’ici 2030 un blockbuster au contenu généré à 90 % par l’IA verra le jour.

Récemment, l’entrepreneur, scénariste, réalisateur et acteur américain Tyler Perry (deuxième acteur le plus riche du monde avec une fortune estimée à 1 milliard de dollars, explique ô combien les vidéos de l’IA Sora l’ont choqué et annonce un bouleversement de l’industrie cinématographique :

« Si je voulais être dans la neige au Colorado, c’est du texte. Si je voulais écrire une scène sur la lune, c’est du texte, et cette IA peut le générer en un rien de temps […] Je peux m’asseoir dans un bureau et faire cela avec un ordinateur, ce qui me choque. »

Rip la profondeur émotionnelle

Perry a suspendu le projet d’expansion à 800 millions de dollars de ses studios de tournage. Le risque se porte sur les emplois et l’authenticité créative. Le touche-à-tout du cinéma en appelle à une réglementation stricte pour des raisons de « survie ». D’ailleurs, des acteurs emblématiques, comme Nicholas Cage, s’alarment sur la vérité artistique et la profondeur émotionnelle des œuvres cinématographiques, et plus encore sur son devenir post mortem.

« Ils vont juste voler mon corps et en faire ce qu’ils veulent, que ferez-vous de mon corps et de mon visage quand je serai mort ? Je ne veux pas que vous en fassiez quoi que ce soit. »

Deux scénarios sont possibles pour les années qui viennent. Soit l’IA reformate l’industrie audiovisuelle de l’intérieur, conformément à ce que semblent vouloir les dirigeants des principales entreprises du secteur. Soit une industrie de films d’IA se créera en parallèle, suite au refus réaffirmé d’une partie des acteurs du terrain et d’une partie du public traditionnel. Le premier scénario présente d’importants risques pour l’emploi de toute la filière ainsi que pour la création d’œuvres originales, les IA créant des œuvres en pillant les œuvres existantes qui auront servi à l’entraînement des modèles. Mais c’est aussi l’opportunité pour de nouveaux acteurs avec des moyens plus faibles que les entreprises en place de créer leurs œuvres.

À très court terme, l’annonce d’un festival dédié au court métrage par IA, l’Artefact AI Fim Festival en novembre 2024 à Paris va dans le sens du second scénario. Le producteur et distributeur MK2 est associé à cet événement qui sera par ailleurs présidé par le réalisateur d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet.

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[1] Url: https://theconversation.com/production-audiovisuelle-et-ia-les-craintes-du-remplacement-239772

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