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Comment la transition sénégalaise de 2024 a divisé par deux la représentation féminine au gouvernement [1]

['Blogueurs Invités']

Date: 2025-07-12

Par Bowel Diop

Partout dans le monde, les droits des femmes, pourtant conquis de haute lutte, deviennent souvent les premières victimes lors de changements de régime. Le Sénégal, malgré sa réputation de stabilité démocratique et ses avancées en matière de parité, n'échappe pas à cette dynamique mondiale inquiétante.

“La taille de vos rêves doit toujours dépasser votre capacité actuelle à les réaliser.” Cette exhortation d’Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue présidente en Afrique et Prix Nobel de la Paix, résonne avec ironie au Sénégal, où la récente transition politique tant espérée révèle déjà des signes inquiétants de régression pour les droits des femmes. Les femmes sénégalaises ont des compétences, mais se voient systématiquement écartées des postes de décision.

En mars 2024, le Sénégal a connu un changement de pouvoir majeur avec l’élection de Bassirou Diomaye Faye, soutenu par Ousmane Sonko, suscitant de grands espoirs de rupture démocratique et de gouvernance inclusive. Mais ces espoirs ont vite été entamés : la part des femmes au gouvernement a chuté de moitié, le ministère des Femmes a été rebaptisé sans concertation, et aucun plan d’action sur l’égalité n’a été annoncé.

Un recul alarmant au Sénégal

Le 6 avril 2024, je suis intégrée dans un groupe WhatsApp appelé Concertation: Femmes – Genre – Nouveau régime. Les chiffres sont éloquents : dans le nouveau gouvernement, seulement 4 femmes sur 30 ministres et secrétaires d'État ont été nommées, soit 13,3% de représentation féminine.

Sur les réseaux sociaux, la déception est palpable. L'activiste Amsatou Sow Sidibé évoque sur Facebook “le déclin de la présence féminine” dans ce gouvernement. Sur X, le Réseau des féministes du Sénégal estime que “le choix de retirer le mot ‘femme’ du ministère nous amène à croire que le statu quo sera maintenu”. Sur son compte X, il publie :

Mr le Président @DiomayeFaye, comment compter vous tenir vos promesses de campagne sur les droits des femmes si le ministère de la femme est supprimé?

Cette nouvelle dénomination est une véritable régression pour les droits des femmes et des filles. pic.twitter.com/lHLJzCFGXp — Collectif des Féministes du Sénégal (@CollFemSn) April 9, 2024

Sur la liste du gouvernement parue le 2 avril de la même année, ces quatre femmes sont assignées aux portefeuilles des affaires étrangères (Yacine Fall), de la pêche (Fatou Diouf), de la famille (Maïmouna Dièye) et de la jeunesse et culture (Khady Diène Gaye) – des figures isolées dans un paysage gouvernemental largement dominé par les hommes.

À titre de comparaison, le dernier gouvernement de Macky Sall, formé en octobre 2023, comptait sept femmes ministres, soit presque deux fois plus que l'actuelle équipe gouvernementale : un recul net en matière de représentation féminine au sommet de l'État.

Cette régression est d'autant plus préoccupante qu'elle intervient après la transformation du ministère dédié aux Femmes, Enfants et Entrepreneuriat en ministère de la Famille et des Solidarités, une décision qui a suscité de vives protestations de la part des organisations féministes sénégalaises.

L'excellence féminine ignorée

Les femmes compétentes ne manquent pas. Elles s'engagent déjà dans les processus de transformation de notre pays. À l'enseignement supérieur, nous aurions pu avoir la Professeure Mame Penda BA, directrice du Laboratoire d'Analyse des Sociétés et Pouvoirs/Afrique-Diasporas (LASPAD). À la santé, Professeure Fatimata LY, dermatologue de formation et maître de conférences à l'université Cheikh Anta DIOP. À l'Économie, Thiaba Camara SY, économiste reconnue, pour ne citer que celles-ci.

Ces exclusions remettent directement en cause les acquis de la loi numéro 2010-11 du 28 mai 2010 relative à la parité absolue homme-femme, qui avait pour objectif de consacrer et d'asseoir la présence des femmes dans tous les lieux où se dessine le futur de notre nation.

Ces exemples incarnent l'excellence. Leur absence dans les sphères de décision semble indiquer la résistance d'un système qui résiste à la transformation structurelle que suppose une véritable égalité des genres.

Notre rôle ne se cantonne pas à la reproduction et aux soins à la famille, nous sommes plus que des utérus et des gestionnaires de foyers. Nos compétences et nos aspirations dépassent ces stéréotypes.

Une dynamique mondiale de régression

La situation au Sénégal s'inscrit dans une tendance mondiale préoccupante. Des pays développés aux nations en développement, un schéma similaire se répète : les femmes sont souvent les premières victimes des changements politiques conservateurs, qu'ils prennent la forme de régimes autoritaires ou simplement de gouvernements moins attachés à l'égalité des genres.

Ces régressions ne sont jamais accidentelles. Elles s'appuient sur des mécanismes systématiques de marginalisation politique et économique des femmes.

Les conséquences sont mesurables : selon l'OCDE, les institutions sociales discriminatoires coûtent à l'Afrique l'équivalent de 7,5% de son PIB en 2019. Au niveau mondial, la Banque mondiale estime que l'inégalité salariale entre hommes et femmes représente une perte de 160,2 billions de dollars en capital humain, soit environ deux fois la valeur du PIB mondial.

Des recherches du Fonds monétaire international suggèrent que réduire l'écart entre les sexes sur les marchés du travail pourrait augmenter le PIB des économies émergentes et en développement de près de 8%.

Ces régressions ont des conséquences profondes sur les droits des femmes avec pour répercussion une exacerbation des inégalités sociales et économiques donc une société moins équitable. Elles s'appuient sur une rhétorique identitaire, conservatrice, qui réduit les femmes à des rôles traditionnels : mères, épouses, silencieuses. Et elles prospèrent dans le silence ou la passivité.

Notre réponse, une mobilisation à trois niveaux

Face à ces défis croissants, allant de la remise en cause du droit à l'avortement aux États-Unis, à l'interdiction de chanter pour les femmes afghanes ou encore au recul des pourcentages de femmes dans les postes de décision au Sénégal, la seule solution est de se battre. Notre réponse doit être triple.

D'abord, une vigilance organisée à travers la création des observatoires citoyens pour suivre les politiques publiques en matière de genre, pour documenter et dénoncer chaque recul.

Ensuite, une solidarité renforcée aux candidatures féminines aux postes de décision en constituant un réseau de femmes leaders disponibles pour les postes de responsabilité.

Enfin, des actions politiques concrètes en stimulant l'utilisation des réseaux sociaux pour amplifier les voix des femmes exclues. Aussi, l'exercice d'une pression constante sur les partis politiques pour respecter la parité.

Il est devenu crucial de s'organiser, de mettre en exergue nos voix pour défendre nos droits et nos acquis. S'il est certain qu'aucun pays ne s'est développé et n'a amélioré les conditions de vie de sa population en mettant de côté la moitié de celle-ci, la lutte n'est donc pas une option mais une évidence.

C'est uniquement par cette mobilisation constante que nous construirons un Sénégal où chaque jeune femme pourra non seulement rêver de conduire la nation, mais effectivement participer à son progrès inclusif et durable.

Un combat central, pas accessoire

Il ne peut y avoir de transition réussie sans les femmes. Il ne peut y avoir d'émergence économique ni de paix durable si la moitié de la société est maintenue en lisière. Le combat n'est pas accessoire. Il est central.

Nous ne demandons pas la charité politique. Nous exigeons la reconnaissance de notre légitimité, de nos compétences et de notre rôle incontournable dans la transformation du Sénégal.

À chaque recul, notre devoir est de faire front. À chaque nomination injuste, notre mission est de dénoncer. Et à chaque femme écartée, notre responsabilité est de faire entendre sa voix.

Notre devoir immédiat est triple : documenter chaque recul, soutenir chaque femme compétente écartée, et construire une alternative politique inclusive. Car comme le disait Mbali Ntuli, militante et politicienne sud-africaine : “Nous ne demandons pas à diriger parce que nous sommes des femmes. Nous l'exigeons parce que nous en sommes capables.”

Lire notre cahier spécial : Sénégal, un modèle démocratique à réinventer

Cet article est écrit dans le cadre du Programme Impact West Africa Fellowship de Aspen Global Innovators

[END]
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[1] Url: https://fr.globalvoices.org/2025/07/12/296402/

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