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Comment le mandarin du Nord-est est-il devenu la langue officielle du stand-up chinois [1]

['Oiwan Lam']

Date: 2025-03-27

Durant ces 20 dernières années, le développement rapide des réseaux sociaux chinois, dont des plateformes vidéos telles que Bilibili, a permis la popularisation du stand-up, un genre de comédie dans lequel un comédien se tient sur scène en faisant des blagues et des commentaires hégémoniques, souvent sur un ton satirique, le tout devant un public.

Depuis l'élection du président Xi Jinping en 2013, la censure n'a fait qu'empirer en Chine, faisant totalement disparaître les commentaires et la satire politique de la télévision et d'internet. Pour y remédier et développer leurs blagues, les humoristes se sont tournés vers la riche diversité culturelle du pays, et plus particulièrement l'humour dialectal. Dans un tel contexte, le Dongbeihua, aussi appelé Mandarin du Nord-Est, est devenu la langue officielle du stand-up chinois.

L'humour de Dongbei

Le Dongbeihua est considéré comme une sous-classe du Mandarin parlé dans les provinces du nord-est de la Chine, comme Liaoning, Jilin, Heilongjiang et d'autres régions de la Mongolie-Intérieure. Près de 100 millions de personnes parlent ce dialecte en Chine. Le Dongbeihua partage de nombreuses similarités avec le Mandarin de Pékin, qui est la base phonologique du chinois standard (Putonghua/Mandarin) parlé en Chine continentale et à Taïwan. La plupart des locuteurs peuvent donc, dans la plupart des cas, comprendre le Dongbeihua. Cela dit, ils peuvent avoir des difficultés à comprendre le sens de certaines expressions et certains jeux de mots. Par exemple, comme l'explique ce rapport du média gouvernemental China Daily, le mot 貓/māo, soit le chat, en mandarin standard, peut être utilisé comme un verbe dans le dialecte Dongbeihua.

Le verbe le plus utilisé est 整/zhěng, qui peut vouloir dire « fabriquer », « être pris pour un idiot », « faire », « obtenir » et bien plus encore. L'adverbe le plus utilisé est 賊啦/zéilā. En mandarin standard, on pourrait le traduire mot à mot par « qui est un voleur », mais en Dongbeihua, le terme signifie « beaucoup », « très ». Il peut aussi décrire presque n'importe quoi. Le terme le plus populaire est surement 忽悠/hūyou, qui peut vouloir dire « tricher », « duper », « tromper » ou encore « flatter », et il peut être utilisé comme un nom. Même si la plupart de ces mots n'ont aucun sens lorsqu'ils sont utilisés dans le contexte du mandarin standard, ils sont tout de même devenus des expressions courantes qui sont utilisées dans la vie de tous les jours à travers le pays entier.

Si ces expressions uniques peuvent aussi être utilisées dans d'autres langues chinoises, comme le cantonais, le sichuanais ou le fujianais, le Dongbeihua a la particularité d'être phonétiquement très similaire au Mandarin, lui offrant un avantage comparatif sur le marché du stand-up chinois.

Une autre raison pour qui fait le succès du Dongbeihua dans le stand-up est probablement les stéréotypes concernant les habitants de Dongbei. Ils sont souvent considérés comme étant très directs, rustiques, indifférents, enthousiastes et querelleurs. « 東北人都是活雷鋒 » (Les habitants de Dongbei sont tous des Lei Feng vivants), une chanson virale des années 2000 a énormément popularisé ces stéréotypes, ainsi que le Dongbeihua à travers tout le pays.

Cette chanson raconte l'histoire d'un homme de Dongbei aidant une personne blessée lors d'un accident de voiture. Après cela, ils se rendent dans un restaurant et l'homme de Dongbei, totalement ivre, parlera de la nourriture de la région et du fait que les gens du coin sont tous la réincarnation de « Lei Feng », le tout en Dongbeihua. Lei Feng est une figure de propagande des années 60 utilisée pour propager une idée de sacrifice et d'altruisme envers son pays. Le mythe de Lei Feng est cependant devenu un sujet humoristique dans les 2000, période durant laquelle le pays jouissait d'une économie et d'une atmosphère politique assez libérale.

La première vague humoristique de Dongbei

L'humour de Dongbei est apparu première fois sous les projecteurs nationaux dans les années 90, au Gala de Nouvel An de CCTV. Le comédien Zhao Benshan, originaire de Tieling, dans la province du Liaoning, avait réalisé un sketch dans lequel les habitants du nord-est de la Chine étaient peints comme des gens de la campagne, sans éducation, simples et francs. Cet extrait datant du Gala de Nouvel An en 2005 illustre ces clichés :

Même si ces représentations peuvent être problématiques ou choquantes, certains clichés entourant Dongbei tirent leurs origines du contexte historique de la région.

Les trois provinces du nord-est de la Chine (Mandchourie) furent les premières régions du pays à s'industrialiser en raison de la colonisation japonaise (1932-1945). Le Japon envahit la Mandchourie en 1931, peu après l'incident de Mukden. Ils établiront un gouvernement fantoche, le Mandchoukouo, avec à sa tête le dernier empereur de Chine, Puyi. Les habitants de la Mandchourie durent faire face au travail forcé, et la région fut utilisée par l'armée japonaise comme une zone industrielle hautement militarisée et une terre arable dans le but de supporter l'expansion de l'empire japonais à travers l'Asie.

Même après la création de la République populaire de Chine (RPC) en 1949, la région est restée le cœur de l'industrie lourde du pays. Grâce à une propagande communiste lorsque Mao était à la tête du pays (1949-1976), les travailleurs des entreprises publiques étaient décrits comme des héros de la nation. Cependant, avec la libéralisation de l'économie et la privatisation des entreprises publiques au milieu des années 90, donnant lieu à de nombreux licenciements, la plupart des travailleurs furent forcés à pratiquer le Xiahai (下海), soit le fait de complètement changer de carrière afin de gérer des petits commerces ou d'accepter d'être exploités par les entreprises privées. La plupart des travailleurs, surtout des femmes, furent laissés sans emploi.

Beaucoup d'habitants de Dongbei ne trouvent donc pas les blagues de Zhao sur le Dongbeihua et sur les clichés de la région amusantes. En effet, être associé à Lei Feng, une sorte de dindon de la farce, n'est qu'une moquerie sans saveur par rapport au passé glorieux de la région et aux circonstances difficiles auxquelles les citoyens font face aujourd'hui.

La renaissance de Dongbei

Mais en 2017, le rappeur Gem sort sa chanson « Disco du Loup Sauvage », un mélange de Cantopop et de rap en Dongbeihua. La chanson tire parti d'un sentiment de nostalgie pour la vie nocturne à Hong Kong et Dongbei. Gem aurait été à l'origine d'un mouvement culturel appelé la « Renaissance de Dongbei ».

Aussi ironique que cela puisse paraître, cette renaissance prend racine dans l'exode de la population vers les villes du sud. En 2000, cet exode concernait moins de 500 000 personnes. Dix ans plus tard, elle dépassait les deux millions. La plupart de ceux quittant la région sont de jeunes gens instruits qui ne trouvent pas de perspectives d'emploi dans le nord-est du pays.

Actuellement, les personnalités les plus connues de cette renaissance de Dongbei sont Shuang Xuetao, Zheng Zhi and Ban Yu, trois jeunes auteurs qui ont grandi à Dongbei dans les années 90. Après avoir assisté au déclin de leurs villes natales, ils prirent la décision de quitter la région dans le but de poursuivre une meilleure éducation et de meilleurs emplois. Ils se sont servis de leur perspective en tant qu'enfants de travailleurs pour partager l'histoire de leurs villes et de la population croyant dur comme fer au socialisme, mais forcés de participer à un système capitaliste devenu la norme sociale, un système qui n'a que faire des petites villes.

Ces histoires nostalgiques ont récemment été illustrées dans des films récompensés par la critique. C'est le cas de « Black Coal », réalisé par Diao Yinnan en 2014. Il y a également « The Shadow Play », réalisé par Lou Ye en 2018. Sortie en 2023, la série « The Long Season » partage également ce genre d'histoire.

Le mouvement culturel du stand-up de Dongbei semble révolutionner l'ancien style d'humour en transformant les blagues basées sur des stéréotypes en humour noir, plein de commentaires sociaux qui se moquent justement de ces clichés datés sur les habitants de Dongbei.

Li Xueqin est probablement l'humoriste la plus populaire de la région. Née à Tieling, Liaoning, ville dans laquelle elle grandit, Xueqin gagne une reconnaissance nationale grâce à ses débuts dans une compétition de stand-up en 2020. Lors de cette compétition, elle utilisera l'humour noir et fera des commentaires satiriques sur le complexe de supériorité des Pékinois, ce qui lui fera gagner l'approbation du public. Elle est également acclamée pour ses petites piques amusantes concernant des problèmes sociétaux, comme la place du genre par exemple, le tout dans un environnement dépourvu de liberté d'expression.

Voilà une transcription partielle de l'un de ses spectacles à propos de Pékin et Tieling lors d'une compétition de stand-up en 2020 :

This year, I left Beijing and went back to Tieling. A lot of people were shocked when they found out, almost the same expression as yours as if it wasn't that I had returned to Tieling from Beijing. Tt was as if I was about to get married to Wu Yifan [a famous actor] but suddenly decided to elope with Wang Jianguo [another comedian in the same competition].

They chased after me and asked me, ‘Aren't you sorry to leave Beijing?’ As if I had been accepted or loved by Beijing. To Beijing, I'm not even a spare tyre. I fought for it, contributed cash, and paid my youth for it. When I left, I even bid farewell to it. Then it replied: ‘Who are you?’ I went back to Tieling, and people laughed at me, ‘What are you doing back there? Tieling doesn't even have a subway!’ What's there to be proud of about a broken subway? Beijing is good, the big subway loop to and from work on a circular line on the left and another circular line on the right, day after day, circle after circle. The universe has an end, Beijing subway does not. How awesome!

What's more, there is a group of people, when I was in Beijing, they said: ‘Beijing is not good, the pressure is too huge.’ When I left Beijing, they said, ‘Beijing is so good; there are so many opportunities.’ My feeling is that these people's only purpose in life is to tell me that you should be regretful for being born as a human being. Many people believe that they can only realize their dreams in Beijing. Please pardon me for asking today: ‘Is your dream to host the Olympics?’ Anyway, my dream can be realized in Tieling. I just want fried pork, smoked whole chicken, and goose stewed in an iron pot. So, you guys really don't have to feel sorry for me anymore.

[END]
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[1] Url: https://fr.globalvoices.org/2025/03/27/294071/

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