Si j’avais un peu bidouillé du LaTeX ces dernières années,
c’était de manière très occasionnelle et par curiosité, en vrai
dilettante. Or j’ai pris la décision au mois de juin dernier,
après quelques tentatives plus concluantes, d’essayer de n’utiliser
professionnellement, pour l’année 2017-2018, que des documents que
j’aurai produits sous LaTeX. L’année est terminée ou presque ; j’ai
tenu l’engagement, produisant en tout une cinquantaine de documents
très variés : il est temps de faire un premier bilan.
LA DÉMARCHE
Précisons tout d’abord que je suis bien conscient d’être un peu à
contretemps : une décennie de retard (ou d’avance, qui sait ?)
- Si on fait une recherche de type « LaTeX professeur de littérature
française » dans un moteur de recherche, les réponses pertinentes
seront bien rares.
- Même en mathématiques, je ne connais aucun enseignant de collège
qui utilise au quotidien LaTeX (alors que la plupart ont quelques
bases), alors des littéraires !
- Les associations d’utilisateurs de LaTeX ne semblent pas au mieux
de leur forme. En France, Gutenberg semble avoir considérablement
réduit ses activités, ce qui est d’ailleurs assez frustrant pour le
nouvel adhérent que je suis, quand on voit les activités menées il y
a dix ans…
- Plus anecdotique et amusant, rechercher _The LaTeX Companion_ en
librairie vous fait souvent passer pour un fétichiste à la recherche
de son homme, ce qui en dit long sur la méconnaissance de LaTeX, y
compris parfois chez le personnel du rayon informatique.
Mes objectifs l’an dernier :
1. Améliorer la typographie de mes productions : polices et
ligatures, coupures de mots, taille des espaces insécables etc.
2. Utiliser Vim pour travailler (ou plus exactement Neovim) et
pouvoir au besoin éditer directement sur mon serveur les
modifications à faire — par exemple quand je remarque une coquille
dans un document et ne dispose que de mon téléphone portable.
3. Obtenir exactement ce que je veux sans avoir à lutter contre
l’outil.
4. Améliorer éventuellement ma productivité.
LE BILAN
1. Sur plan de la qualité typographique, le bilan est entièrement
positif et le gain plus spectaculaire qu’il n’y paraît. Les textes
sur lesquels les élèves travaillent me paraissent beaux et plus
agréables à lire, leur présentation est plus cohérente. Les élèves
n’en sont pas forcément conscients, mais certains semblent tout de
même valoriser davantage leur support écrit (moins de photocopies
froissées ou laissées dans la salle après le cours, pour m’appuyer
sur une observation objective).
2. Le confort de n’utiliser qu’un éditeur de texte aussi efficace que
Vim est évidemment remarquable. Je me suis même mis parfois à rédiger
et compiler en LaTeX sur une tablette Android 7 pouces avec clavier
externe, grâce au très remarquable Termux. Bonne chance pour obtenir
quelque chose d’aussi précis avec un traitement de texte sur un tel
engin ! En utilisant un plugin pour Grammalecte la moindre efficacité
de la correction orthographique, par rapport à celle de LibreOffice,
est en partie atténuée.
3. Les deux derniers points sont plus discutables :
- S’il est plus chronophage au début de rédiger un document
très simple, comme cinq phrases d’exercices, sous LaTeX que sous
LibreOffice, le gain de temps est considérable lorsque la complexité
du document s’accroît et qu’il n’est plus possible, sous LibreOffice,
d’obtenir quelque chose de correct qu’en multipliant les retouches
manuelles. Un bon exemple de ce genre de texte complexe ? Un extrait
de théâtre en vers ; il faut alors :
* Bien centrer les vers dans la colonne tout en alignant à gauche
et en évitant les vers trop longs.
* Ne pas compter les noms des personnages et les didascalies dans
la numérotation des vers et offrir une typographie qui les
distingue nettement.
* Avoir une numérotation des vers qui ne plante pas lorsqu’un vers
est partagé entre deux personnages.
- Respecter toutes ces contraintes avec des environnements LaTeX
comme Thalie et Verse par exemple, est assez trivial et rapide.
- Lorsqu’on produit une fiche structurée avec titres, sous-titres,
points et sous-points, exemples, tableaux, les indentations
automatiques de LibreOffice sont difficiles à piloter et nécessitent
beaucoup de retouches manuelles. Avec LaTeX, la structure produit
naturellement la disposition si elle a été bien conçue. On ne gagne
pas forcément de temps, puisqu’on est souvent amené à retoucher la
structure, mais le temps est utilisé à des choses plus constructives
qu’à lutter contre la mise en page automatique — et le résultat est
souvent plus cohérent et plus satisfaisant.
4. La productivité est une notion très subjective : lorsque je fais
quelque chose que je trouve intéressant, j’ai moins l’impression de
perdre mon temps que lorsque je suis contraint d’effectuer des tâches
répétitives sans intérêt. Les comparaisons de productivité entre
LaTeX et LibreOffice ou Word sont assez nombreuses sur le net et les
arguments ressassés souvent les mêmes. Si j’essaie de rester objectif
et concret, je peux dire que ma productivité est meilleure sous LaTeX
dans au moins trois cas :
- Lorsque je produis un contrôle avec corrigé, le contrôle, le barème
et le corrigé sont produits en même temps dans le même document grâce
à la classe exam.
- Lorsque je veux produire une version pour les dyslexiques d’un
support écrit, il est très facile de ne fabriquer qu’un document avec
deux options de construction (passage de A4 en A3 et changement de
police, par exemple). Avec le système de références internes,
les changements de ligne induits par la nouvelle police sont
automatiquement traduits dans les questions qui contiennent des
références à un passage. Il est peut-être possible de faire la même
chose sous LibreOffice, mais je n’ai jamais essayé. Disons que sous
LaTeX, c’est assez simple.
- Pour économiser du papier, j’utilise souvent une page A4 en format
portrait sur laquelle j’imprime deux pages A5 en format paysage l’une
sous l’autre que je découpe ensuite au massicot. Sous LibreOffice,
j’imprimais deux feuilles A4 avec une seule A5 en haut, puis je les
superposais dans la photocopieuse afin d’obtenir ce que je cherchais.
Il est peut-être possible d’obtenir directement la page souhaitée
(avec les en-têtes et les pieds de page) sous LibreOffice, mais cela
me paraît improbable. On peut certainement utiliser un logiciel
tiers de manipulation des pdf pour obtenir le même résultat, mais
l’utilisation de LaTeX est ici beaucoup plus simple et se limite à
quelques instructions :