Où va Ubuntu ?
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Date: 2017-01-07 17:37
Author: jdn06
Category: Distributions
Tags: BQ, Matériel, Téléphone, Ubuntu, Ubuntu Touch

Les oracles annonçaient  la nouvelle depuis plusieurs  semaines et la
nouvelle est finalement  tombée ces derniers jours : il  n’y aura pas
de  nouvelle OTA  pour les  téléphones Ubuntu ;  l’OTA-14 publiée  en
décembre sera la dernière.

Alors, bien sûr, officiellement, le  projet n’est qu’en pause jusqu’à
l’intégration de la  technologie Snappy au sein  d’Ubuntu Touch, sans
qu’aucune date ne soit avancée,  ni aucun modèle de téléphone associé
annoncé. Les téléphones déjà vendus  ne seront pas compatibles. Seule
la  tablette BQ  Aquaris M10,  commercialisée depuis  moins d’un  an,
devrait être  un jour  compatible, mais  il faudra  probablement être
patient, très patient.

Les possesseurs de téléphones Ubuntu, dont je suis, pourront aussi se
consoler si Ubuntu tient son engagement de fournir encore des mises à
jour de  sécurité pour  les deux  ans à  venir : les  téléphones sous
Android  ne reçoivent  pas  tous  des mises  à  jour  de sécurité  si
longtemps.

Reste qu’il y a de quoi être en colère devant un tel gâchis ! Soit la
stratégie  d’Ubuntu  est si  ténébreuse  que  personne n’a  réussi  à
deviner  leur but  ultime,  soit  ils ne  prennent  que de  mauvaises
décisions depuis 5 ans !

Lorsqu’ils décident  de remplacer  GNOME par Unity,  en 2011,  ils se
justifient par leur volonté de créer une interface unique, utilisable
aussi bien  sur le desktop que  sur un téléphone mobile.  La décision
est radicale  et suppose  un investissement en  développement massif,
nécessité qu’augmentera  encore la  décision de  ne pas  participer à
Wayland et de créer une solution à nouveau interne à Ubuntu, Mir. Dès
lors, le reste du développement pour le desktop semble mis en pause :
tous les moyens  vont sur Unity et Mir. La  suite logique d’une telle
politique, c’est la sortie de tablettes et de téléphones fonctionnant
sous Ubuntu. Mais il faudra attendre jusqu’en 2015 pour voir enfin un
premier modèle proposé : quatre ans de projets divers promettant tous
monts et merveilles, tous interrompus avant commercialisation.

Si les téléphones  et la tablette vendus depuis 2015  ne sont pas les
outils exceptionnels  qu’on nous  faisait miroiter,  ils fonctionnent
assez  bien et  sont utilisables  au  quotidien pour  la plupart  des
besoins  élémentaires.  Pourquoi  donc faire  marche  arrière ?  Quel
objectif non  atteint s’était fixé  Ubuntu, qui l’amène  maintenant à
relâcher  l’effort ?  Difficile  de  répondre  à  coup  sûr  à  cette
question, d’autant que la communication d’Ubuntu a toujours été assez
décalée  par  rapport  à  la réalité  qu’on  pouvait  percevoir…  Mon
impression  est que  l’objectif  de ces  appareils  était de  rallier
de  nombreux utilisateurs-développeurs  qui  étofferaient le  magasin
d’applications sans rien  coûter, et que peu  d’utilisateurs ont pris
la peine de développer.

Pour  que  les  développeurs  s’engagent  massivement  derrière  eux,
peut-être   aurait-il   fallu   moins   d’arrogance   et   de   choix
anti-communautaires ?  Peut-être aurait-il  fallu  soutenir GNOME  3,
Wayland, quitte  à infléchir  un peu le  cours de  ces technologies ?
Peut-être  aurait-il fallu  concevoir  des  téléphones beaucoup  plus
ouverts, où  apt install n’aurait  pas menacé  de tout casser,  où on
aurait pu changer le fichier  mirror.list, voire passer son téléphone
sous  Debian.  Bien  sûr  de  tels appareils,  qui  auraient  eu  une
énorme logithèque, mais totalement  inadaptée aux interfaces mobiles,
n’auraient pas  été à mettre  entre toutes les mains.  Les téléphones
Ubuntu ont réussi  le pari assez fou de n’être  satisfaisants ni pour
le grand  public (peu d’applications,  pas mal  de bugs) ni  pour les
libristes  (beaucoup de  Google et  peu de  souplesse pour  installer
autre chose que  les OTA et les quelques applis  dédiées). Je ne veux
pas  dire par  là  que je  regrette mon  achat :  contrairement à  un
téléphone Android,  je suis  root à  l’achat et  je peux  tout casser
si  je  veux ;  les  applications  disponibles  couvrent  l’essentiel
de  mes  besoins.  Néanmoins,  je rêvais  clairement  d’autre  chose,
et  manifestement  pas  de  ce qui  fait  rêver  Mark  Shuttleworth !
La  convergence ne  m’intéresse  pas  particulièrement ; acheter  des
téléphones équipés de processeurs  puissants comme des desktops n’est
pas forcément une bonne idée en l’état actuel de la technologie. Sans
de  tels  téléphones, forcément  très  au-dessus  de mon  budget,  la
convergence n’est qu’un gadget peu utilisable. Non, ce qui me faisait
rêver dans  ce projet, c’est  d’avoir un téléphone GNU/Linux,  où par
exemple tous les  outils cli de GNU/Linux  seraient installables sans
problème. Or  cela supposait de  pouvoir installer tout ce  qui était
compilable pour  les architectures  ARM avec  un simple  apt install.
Bien  sûr,  l’utilisateur d’Android  ou  d’iOS  n’y aurait  vu  aucun
intérêt, mais il ne fallait pas viser ce public si on voulait d’abord
séduire les développeurs libristes et  s’appuyer ensuite sur eux pour
étoffer la plateforme d’applications mobiles.

Une part du problème vient aussi peut-être du choix du noyau : Ubuntu
Touch était condamné  à faire tourner Ubuntu 15.04 et  un noyau Linux
3.4, alors  que le Desktop  Ubuntu est  aujourd’hui en 16.10  avec un
noyau 4.8. Or le problème du noyau  est aussi je pense ce qui rend le
support sous  Android si court et  fait que les mises  à jour cessent
avant  que  le matériel  soit  hors-service  (pour  les gens  un  peu
soigneux…).  Ce  n’est  donc  pas directement  Canonical  qu’il  faut
ici  blâmer, mais  plutôt les  fabricants de  composants pour  mobile
et  surtout les  entreprises  qui assemblent  et commercialisent  les
téléphones,  qui pourraient  tout  à fait  faire  pression sur  leurs
fournisseurs. On a l’impression que tout ce monde-là utilise un noyau
Linux sans se préoccuper de comprendre cet univers. Ils se contentent
de fabriquer un vilain blob  propriétaire sur lequel s’appuiera telle
version  du  noyau,  interdisant  de fait  l’utilisation  d’un  autre
noyau  que celui  de départ.  Il serait  pourtant dans  l’intérêt des
fabricants, s’ils veulent déserrer un  peu l’étau de Google, d’exiger
des composants dont les pilotes seraient intégrés au développement du
noyau, comme cela  se pratique souvent pour le  Desktop, d’autant que
contrairement à ce qui concerne  le Desktop, leurs composants sont le
plus souvent  destinés au  seul noyau Linux,  via Android.  Ainsi les
mises à jour seraient beaucoup plus faciles pour tout le monde.

Enfin, concernant  les Snappy,  j’ignore si cette  technologie aidera
Ubuntu à réaliser cette fameuse  convergence, mais je suis d’avis que
si elle est une bonne idée  concernant les serveurs, un peu comme une
version allégée  de Docker, elle est  une très mauvaise idée  pour le
Desktop. Pour  moi, la  beauté des  machines tournant  sous GNU/Linux
ou  sur  une BSD  tient  beaucoup  à  leur système  de  bibliothèques
partagées ; l’occupation  disque et  mémoire de chaque  programme est
très inférieure et le matériel est donc utilisé de manière optimisée.
Le  prix  à payer  est  évidemment  le  problème  de la  gestion  des
dépendances et de  la coordination des mises à jour.  Les outils pour
permettre ce genre de déploiement, les gestionnaires de paquets, sont
aujourd’hui nombreux  et d’une très grande  efficacité. Pourquoi donc
vouloir régresser vers des systèmes lourds, à la Windows ou Mac, avec
en plus les problèmes de  bibliothèques périmées, pleines de trous de
sécurité, qui vont avec les logiciels peu mis à jour ?

Feu PC-BSD avait  déjà expérimenté ce genre de choses  avec le format
PBI  qui s’était  montré  pachydermique et  assez inefficace.  Snappy
semble à la  fois beaucoup plus ambitieux (en  termes d’isolation des
processus)  et  mieux fait ;  reste  qu’il  ne paraît  pas  forcément
judicieux  d’alourdir les  Desktops,  alors que  la  légèreté est  le
meilleur argument des distributions  GNU/Linux et qu’Ubuntu ne brille
déjà pas en la matière par rapport à d’autres…

Bref, Ubuntu  est certainement un  concurrent imaginatif de  Red Hat,
mais pour le reste, il aime se  tirer des balles dans les pieds, avec
régularité et obstination.