Gopher et les Pubnix, retour vers le futur
==========================================

Date: 2019-04-13 10:24
Author: jdn06
Category: Logiciels libres
Tags: Gopher, Web, Unix, Pubnix

J’ai  découvert  cette  année  un protocole  et  une  communauté  qui
s’accordent bien  avec mon  goût pour  le minimalisme  des interfaces
technologiques : Gopher et les Pubnix.

Gopher est  un vieux protocole  qui peut  paraître désuet en  2019 du
fait de ses limites :

- Pas  de liens dans les  pages de texte elles-mêmes,  mais seulement
dans les menus de l’arborescence qui les précède.

- Pas  d’images dans  les pages  de texte,  mais seulement  comme des
documents téléchargeables depuis les menus de l’arborescence.

- Pas de  support sur les navigateurs Web d’aujourd’hui,  si ce n’est
par une extension à ajouter.

- Pas de chiffrement TLS.

- Aucune mise en forme du texte disponible : les fichiers sont du pur
txt.

En fait,  il ressemble un  peu à du  FTP amélioré pour  permettre une
navigation plus  fluide entre les  différentes pages d’un  serveur et
entre les différents serveurs.

Pourquoi  donc s’intéresser  à une  telle  vieillerie ?  Tout ce  que
Gopher peut faire, le Web le peut  aussi, et de manière plus riche et
facile.

Oui, mais le Web est devenu sous  bien des aspects un « machin » hors
de contrôle pour l’utilisateur. Lorsque  j’ouvre une page Web sur mon
ordinateur :

- Le navigateur communique en réalité avec parfois plusieurs dizaines
de  sites,  pour  charger  une  police, une  image,  une  vidéo,  une
publicité, un compteur de visites etc.

-  Le navigateur  écrit sur  mon  ordinateur nombre  de cookies  sans
lesquels  de  nombreux  sites  ne  fonctionneront  pas  correctement.
Ceux-ci leur permettent de tracer  les utilisateurs et de générer des
données les concernant.

- Le  navigateur exécute  par défaut  des scripts  sur ma  machine, à
moins  d’installer  une extension  pour  l’en  empêcher. Ces  scripts
peuvent faire beaucoup de choses que  je ne souhaite pas, mais nombre
de sites ne  fonctionneront pas si je  ne les active pas.  À moins de
les  lire un  à un,  il  me faut  faire globalement  confiance à  une
industrie qui  n’a pas  brillé par son  respect des  utilisateurs ces
dernières années.

- Il arrive  même que le navigateur se mette  à télécharger puis lire
une vidéo ou un extrait musical de son propre chef, que ce soit à des
fins publicitaires ou non.

Bref, naviguer  sur le Web est  de nos jours un  double renoncement :
renoncement  à la  maîtrise  technologique et  renoncement  à la  vie
privée.

Si Gopher protège  de ces travers, c’est en grande  partie à cause de
son échec :  sa technologie n’a pas vraiment évolué  depuis le milieu
des années 1990  et il n’a plus  été utilisé pour vendre  quoi que ce
soit depuis.

Si ses  limitations peuvent  paraître frustrantes,  il ramène  un peu
d’efficacité dans la navigation en permettant de se concentrer sur le
texte lui-même et en limitant un peu la sérendipité, enrichissante et
agréable en soi mais qui limite parfois l’efficacité de la navigation
sur le Web en éloignant l’internaute de son intention initiale.

Les  outils que  j’utilise pour  naviguer sur  Gopher, Lynx  et VF-1,
participent aussi  de cette frugalité technologique,  d’autant que le
fait  qu’ils  s’utilisent  en  console  permet  d’interrompre  et  de
reprendre la navigation là où j’en  étais en les lançant dans un tmux
sur  mon  serveur,  fonctionnalité  que  les  navigateurs  graphiques
implémentent avec une certaine lourdeur.

J’ai donc  ouvert un Gopherhole qui  abrite une version texte  de mes
blogs à l’adresse suivante : gopher://gopher.nappey.org

Ce lien  ne peut être  ouvert qu’avec  un navigateur compatible  ou à
travers un proxy.

J’ai  aussi découvert  les  Pubnix,  des Unix  publics  dont on  peut
devenir utilisateur et  qui abritent entre autres  un serveur Gopher.
J’ai  choisi  republic.circumlunar.space,  mais  il  en  existe  bien
d’autres : sdf.org, tilde.town etc.

Ces communautés sont un peu des contre-réseaux sociaux. Par la taille
d’abord, seulement quelques dizaines d’utilisateurs, un peu plus pour
les plus  gros. Par  les principes ensuite,  puisque les  outils sont
libres  et  co-développés au  maximum  par  les utilisateurs.  Ainsi,
sur  circumlunar.space,  le  BBS  qui  permet  de  communiquer  entre
utilisateurs, Telem, a été développé localement en Lua.

Si Mastodon est libre et décentralisé, le rapport de ses utilisateurs
à  l’outil  reste globalement  le  même  qu’avec Twitter,  même  pour
ceux  qui  s’auto-hébergent.  Rares  sont  ceux  qui  participent  au
développement  ou font  évoluer  l’outil. Ici,  il  s’agit bien  d’un
réseau  collaboratif,  où les  utilisateurs  se  connaissent et  sont
acteurs  de  leur  réseau.  Ça  ne  résout  pas  tous  les  problèmes
des  réseaux, mais  cela  rend les  solutions  beaucoup plus  souples
et  adaptées :  chacun  peut  par exemple  donner  son  avis sur  les
informations qui  peuvent être  publiquement visibles, celles  qui ne
seront visibles que des autres membres de la communauté et celles qui
doivent rester invisibles.