Il reste que le sens de cette ordonnance
musicale, comme celui des relations qu'elle
entretient avec les autres modes
d'expression artistique, n'est pas sans
rapport avec le v�cu le plus intime de
l'auteur qui lui aussi se d�roule dans le
temps d'une histoire dont les
commencements gardent toujours une
importance privil�gi�e.
Tout au long de cet entretien o� Lorand
Gaspar essaiera, � travers sa propre
exp�rience, de saisir ce qu'est le processus
cr�ateur en train de se faire, on est
d'embl�e frapp� par la n�cessit� vitale
qu'est pour lui l'�criture po�tique: Tout
d'abord, il s'agit essentiellement d'un
besoin, d'une n�cessit�, de quelque chose de
vraiment vital. J'ai le sentiment que si je
ne peux pas trouver cette fa�on de d�ployer
quelque chose qui est l�, il y aura comme un
blocage Cela ressemble � une boule, �
quelque chose d'informe, comme un neurone
qui aurait des arborisations, dont il ignore
les liaisons, les fonctions, � un magma
obscur, habit� d'un grouillement. Autrement
dit, il s'agit de trouver quelque chose qui
me permette de me sortir d'une situation
parfois critique, en tout cas toujours
difficile, o� quelque chose est boulevers�
et l'�criture est pour moi le moyen.
Mais c'est sans doute parce que le moyen
est au d�part sans repr�sentation et sans
mots pour le dire que la cr�ation po�tique
lui appara�t comme la seule voie possible
pour r�soudre le profond malaise qui ne
peut encore s'exprimer que corporellement.
Trouver les mots l� o� il n'y en a pas parce
qu'il est des profondeurs obscures de
nous-m�me o� la r�flexion n'a pas d'acc�s,
o� son pouvoir d'�laboration est inop�rant
ou, du moins, ne peut directement s'exercer.
Telle est peut-�tre pour Lorand Gaspar la
fonction m�diatrice du po�te et c'est en ce
sens qu'il ajoute: La finalit� de la po�sie
est aussi sa n�cessit�.
C'est l�, me semble-t-il, la matrice
arch�typique de toute son oeuvre qui
appara�t, au fur et � mesure qu'on y p�n�tre,
comme la mise en images et en mots de ce
magma originaire.
Nombreux sont les textes d'Eg�e et de Jud�e
o�, derri�re l'expression multiforme d'un
monde qui l'engendre avant qu'il ne
l'engendre, se profile, en arri�re plan,
l'essence et la fonction de la cr�ation
po�tique.
Lorand Gaspar va tenter, dans la suite de
l'entretien, d'en exprimer le cheminement
d'abord obscur et qui va peu � peu
s'�laborer. Au d�part, dit-il, c'est senti,
c'est �prouv� comme une sorte d'activit�
magmatique. C'est dans le corps. Dans ce
m�lange apparaissent rapidement des
fragments de m�moire, de sentiments Mais
on est d�j� au-del�. A l'origine, c'est
presque kinesth�sique et c�nesth�sique,
c'est comme si la totalit� du corps �tait
impliqu�e. Puis c'est une sorte d'urgence �
distinguer les choses Et c'est cela qui est
inqui�tant, c'est cela qui est douloureux et
c'est l� qu'il faut essayer d'�claircir, de
relier. C'est quand on voit l'ensemble et les
relations entre les choses, quand on voit
comment �a bouge et comment �a circule
qu'on est envahi par une grande joie.
Les termes qu'utilise ici Lorand Gaspar font
penser que cette mise en ordre se d�roule
sur plusieurs plans � la fois: celui de
l'espace: voir l'ensemble et les relations
entre les choses, et la po�sie s'apparente
ici aux arts de l'image (peinture, sculpture)
mais aussi celui du temps: comment �a
bouge et comment �a circule, ce qui
rapproche la po�sie de la musique et de la
danse. C'est sans doute pourquoi les anciens
consid�raient la po�sie comme le plus grand
des arts en ce qu'il rassemble en lui
l'ensemble des autres.
Lorsque je demande � Lorand Gaspar si, dans
ce cheminement �laboratif vers un ordre
satisfaisant, quelque chose le guide et s'il a
un projet pr�alable, il r�pond que non et
qu'en tout cas, ce n'est pas une id�e, c'est
rarement une image ou un mot, voire un son.
Et m�me l� c'est encore simplement un
facteur d�clanchant mais ce n'est pas ce
autour de quoi je vais construire.
J'ai, dit-il, le sentiment qu'il faut que je
revienne toujours au point de d�part, �
cette urgence et l�, j'ai une activit�, une
fermentation qui n'est pas claire. Alors il
faut nommer, il faut mettre en ordre,
comme si la forme devait �tre trouv�e �
partir d'une n�cessit�, comme si, dans ce
magma, il y avait d�j� tous les ingr�dients,
non pas qu'il n'y ait qu'un seul ordre mais
comme s'il n'existait qu'un nombre limit�
d'ordonnances possibles. Et l�, il n'y a pas
de mod�le, il n'y a, consciemment, aucune
r�f�rence dans le monde ext�rieur.
Mais comment le po�te trouve-t-il la
correspondance formelle qu'il recherche?
Est-ce dans son patrimoine culturel?
Lorand Gaspar pense que ce ne peut �tre que
secondaire.
C'est donc � l'int�rieur de lui-m�me qu'il
doit trouver ce r�f�rend organisateur: Pour
moi, dit-il, il a toujours �t� �vident que
c'est avec moi-m�me que la communication
devait �tre �tablie, que c'�tait mon affaire,
mon probl�me, que les autres pouvaient me
donner une impulsion mais que c'est de
moi-m�me que je vais tirer cette
�lucidation.
On voit que, m�me � l'int�rieur de
lui-m�me, il ne s'agit pas de r�f�rence � un
mod�le une fois pour toute �tabli, mais de
la n�cessit� de renouer constamment un
dialogue entre les parties les plus
profondes, les plus inconscientes et les
plus �labor�es, y compris celles projet�es,
en avanc�e, dans un id�al du moi.
Mais cette r�f�rence primordiale �
lui-m�me n'exclut pas pour autant le d�sir
de communication avec autrui, on pourrait
dire plut�t qu'elle la fonde: Il est �vident
que dans un deuxi�me temps le d�sir de
communiquer existe mais c'est dans un
deuxi�me temps. Je n'ai jamais eu le
sentiment que c'�tait d'embl�e pour
communiquer que j'�crivais. Mais une fois
r�solue cette probl�matique interne, je
peux �ventuellement devenir capable de
communiquer avec autrui. Il reste cependant
que la po�sie utilise un mat�riau qui lui est
propre, � savoir le langage.
A la question que je lui pose quant �
l'importance qu'il donne � chacun des deux
versants du langage: le signifiant et le
signifi�, ou, pour �tre concret, le corps du
mot et son sens, il r�pond: qu'il y a d'abord
un rapport sensoriel avec les mots, corporel
est le bon terme. Il faut que les mots soient
tr�s pr�s de ce qui est l�; il faut que les
mots aient cette mat�rialit�, ce toucher. Je
suis aussi sensible � la sonorit�. Mais je ne
fais pas non plus partie de ceux qui
renoncent au sens. Je n'admets pas d'�crire
uniquement pour la musique des mots. Le
c�t� palper des mots est une premi�re
phase, un premier temps. Comme si les
�l�ments, la mati�re des mots, devaient
�tre d'abord tr�s concrets. Mais, pour
�tablir leurs rapports pour les lier, j'ai
besoin qu'intervienne le sens. � vrai dire je
n'arrive pas � s�parer dans la pratique cette
mat�ralit� du mot de son sens. Dans ma
m�moire, le sensible et le sens sont
intimement li�s dans la trace du m�me
vecu. Il peut arriver que la compr�hension
ne soit pas �vidente pour un autre mais pour
moi, elle l'est. Dans un deuxi�me temps,
cependant, un travail peut �tre fait pour
approcher davantage de la communication et
du partage. Mais c'est l�, aussi, qu'on sent
un danger. Jusqu'o� est-ce que je fais bien
d'aller ?.
Reste � se demander de quoi est fait ce
magma obscur habit� d'un grouillement qui
semble le mat�riau premier d'o� toute
cr�ation prend sa source et son origine.
Lorand Gaspar ne r�pond pas directement �
cette question mais il semble qu'une
certaine r�ponse peut �tre faite � partir de
ce qu'il dit des circonstances dans
lesquelles il a commenc� � �crire.
J'ai commenc� � �crire tr�s t�t, dit-il,
dans
mon adolescence et c'�tait d�j� un besoin.
C'�tait une fa�on, d�j�, de mettre au clair
quelque chose que je ne comprenais pas. Le
point de d�part est toujours un moment
difficile. Puis un peu plus tard, apr�s mon
arriv�e en France, j'ai essay� d'�crire en
fran�ais; c'�tait au moment d'une crise et
c'est: Le quatri�me �tat de la mati�re qui
est venu d'une seule coul�e. Dans la
situation difficile qui �tait alors la mienne,
ce fut la seule fa�on de m'en sortir. A
d'autres moments, il y a pu y avoir des
rencontres heureuses, mais le processus
d�clanch� reste douloureux au d�but.
Quand je lui demande si son enfance
elle-m�me peut avoir jou� un r�le
important comme source d'inspiration, il
me r�pond: Cela para�t �vident. J'ai le
sentiment que mon corps n'a rien oubli�. J'ai
des souvenirs tr�s vivants qui se r�veillent
� la moindre occasion et qui veulent �tre
d�gag�s, verbalis�s. Mais ces r�veils me
renvoient toujours dans un premier temps �
l'obscurit�, et je ne peux retrouver la
rencontre positive heureuse qu'apr�s ce
retour.
On dit qu'� travers son �criture le po�te
cr�e son monde. Mais n'est-ce pas aussi
lui-m�me qu'il cr�e, tel qu'il est ou tel qu'il
voudrait �tre? A la r�flexion oui, r�pond-il,
mais quand on est dedans, dans cette
n�cessit�, on ne sait rien, on est pris par
cela et il faut en sortir. Pourtant cet �tat
douloureux ne m'est jamais apparu comme
d�sesp�r�. On sent qu'on pourra toujours
aller plus loin. On s'est peut-�tre fourvoy�
mais il y a toujours un autre chemin.
Cette essence itin�rante qui marqua sa vie,
on la retrouve aussi dans son oeuvre. Quand
je lui demande en fin d'entretien ce qui lui
fait penser qu'un po�me est termin�, il me
dit: Je ne sais jamais si c'est fini mais ce
que je sais, c'est que dans la situation
donn�e, je ne peux pas aller plus loin. Il
arrive m�me qu'apr�s plusieurs ann�es, j'ai
le m�me sentiment. Mais je sais que je peux
aller jusque l� pour, le moment. D'autres
fois, � la relecture il se fait comme une
ouverture nouvelle.
A la relecture de cet entretien avec Lorand
Gaspar, j'ai le sentiment que, dans sa
concision et dans sa densit�, il est le
t�moignage �mouvant de la raison d'�tre et
de la n�cessit� de la cr�ation artistique.
A partir d'un travail poursuivi dans un
s�minaire que j'ai anim� pendant une
dizaine d'ann�es autour du th�me: Art et
Psychanalyse, il m'a sembl� que les
processus psychiques qui se d�ploient dans
la cr�ation artistique s'architecturaient
selon des modalit�s semblables � celles que
la clinique psychanalytique mettait en
�vidence dans son domaine propre, en
particulier, au niveau des structures les
plus anciennes et les plus profondes telles
qu'on peut les observer chez l'enfant, mais
aussi dans certains �tats pathologiques
(�tats limites ou psychotiques) ou lors de
mouvements r�gressifs particuli�rement
importants. De cette confrontation pouvait
r�sulter un �clairage r�ciproque
int�ressant, permettant � la fois de mieux
situer le r�le et la fonction de l'art, mais
aussi de mieux comprendre certains modes
de fonctionnement psychiques qui posent �
l'analyste des probl�mes th�rapeutiques
d'une grande difficult�.
Il est bien �vident que la fonction
symbolisante occupe ici une place centrale
et je ne peux qu'�voquer, d'entr�e de jeu, le
r�cent travail d'Alain Gibeault, Congr�s des
psychanalystes de langue fran�aise des
pays romans, mai. ne serait-ce que pour me
situer par rapport � lui. J'en ai appr�ci�
l'�clairage philosophique, la rigueur
m�tapsychologique et l'enracinement
clinique. Il m'a sembl� seulement, mais qui
pourrait lui en faire grief, �tant donn�e
l'ampleur de son sujet, que son expos�
laissait dans l'ombre quelques questions. Ce
sera donc dans ce champ laiss� en friche
que j'essaierai d'apporter ma propre
contribution.
Je crois, en effet, d'un grand int�r�t, pour
entrer plus profond�ment dans la
compr�hension de cette fonction
symbolisante, de s'attarder davantage sur
les conditions de sa naissance, sur les
modalit�s de son apparition et sur les
toutes premi�res �tapes de son �laboration.
Or, ce point de d�part me para�t
profond�ment enracin� dans le corps, dans
ce qu'il peut inscrire, ressentir et exprimer:
souvenirs du corps, �prouv�s
sensori-moteurs, langages du corps seront
donc ici les mots cl�s.
Je crois aussi que l'art offre un champ
d'investigation privil�gi�e dont on ne
contestera pas l'importance en ce qui
concerne la symbolisation mais qui nous
int�resse ici tout particuli�rement dans la
mesure o� son mode d'expression, son
langage est justement langage du corps,
comme j'aurai ample occasion de le montrer
plus loin.
Freud n'a-t-il pas d'ailleurs engag�
d'embl�e la recherche analytique dans ce
registre en prenant d'abord l'hyst�rie
comme objet d'�tude. L'hyst�rie repr�sente
bien, en effet, l'organisation n�vrotique o�
le corps est le plus pr�sent. Car s'il l'est au
terme du processus, la conversion, il l'est
aussi � l'origine et il l'est encore � chacune
de ses �tapes, inscrivant dans la fonction
symbolisante elle-m�me sa marque propre.
Chez Dora, la zone corporelle �rog�ne
excit�e exag�r�ment peut expliquer ce qu'on
a appel� la complaisance somatique. Mais,
les d�placements symboliques ne sont
possibles que si l'objet ou l'acte symbolique
substitu� donne la possibilit� d'un �prouv�
psychique semblable et suffisamment
satisfaisant. Si chez Dora la satisfaction
masturbatoire a pu se d�placer sur d'autres
objets, pourquoi n'aurait-elle pas
elle-m�me une origine ant�rieure. On
rejoint l�, du reste, une remarque
pertinente d'Alain Gibeault qui, se r�f�rant
� Ferencsi, montre la r�versibilit� du
processus symbolique. Si la dent, ou le
mamelon, peut �tre symbole du p�nis, le
p�nis peut �tre aussi symbole de la dent et
peut-�tre plus encore du mamelon. Freud
l'avait d'ailleurs bien per�u puisque, au bout
du compte, c'est sans doute parce qu'il n'a
pas suffisamment analys� ce puissant
retour nostalgique vers le lien primitif et
fusionnel avec la m�re que l'analyse de Dora
a, finalement, but�. Ainsi, la masturbation
de Dora est aussi par l'utilisation, certes,
d'un nouveau registre qui est celui de la
sexualit�, recherche de retrouvailles avec
un �prouv� semblable � celui, d�j� v�cu,
dans le contact oral et cutan� avec le sein
de la m�re. C'est aussi dire que la fonction
symbolisante commence tr�s t�t, voire d�s
le d�but, m�me si c'est sous une forme
qu'on pourrait appeler pr�symbolique pour
souligner la distinction encore partielle des
termes semblables.
Mais il para�t justement important et
int�ressant d'essayer de la saisir dans ses
tout premiers commencements, ce qui nous
permettra de mieux comprendre ses
�laborations ult�rieures plus complexes et
les modalit�s de leurs investissements
successifs. Comment donc op�re ce premier
langage du corps et comment le situer dans
son lieu et dans son devenir par rapport �
celui qui s'exprimera ensuite en images et
en mots. Quand on s'interroge sur l'origine
et les d�buts de cette fonction
symbolisante, deux param�tres
apparaissent essentiels: la pulsion et le
corps sensori-moteur comme rep�re et
comme r�f�rent.
C'est la pulsion qui donne sens et il est
int�ressant de remarquer que le mot sens
indique � la fois signification et
mouvement vers, impulsion. Le premier
d�coupage d'objet, le sein de la m�re, par
exemple, s'�taye sur la pulsion. C'est cette
pulsion primaire qui va permettre, parce
qu'elle en est le moteur, les �quivalences
substitutives et les d�placements
symboliques ult�rieurs. C'est parce que le
pouce remplit une fonction semblable �
celle du sein, sur le plan de la satisfaction
pulsionnelle, que le d�placement va se
produire comme il se produira ensuite sur
l'objet transitionnel puis, comme le dira
Winnicott, sur le domaine culturel tout
entier.
Mais la pulsion ne permet pas, par
elle-m�me, le rep�rage de similitude des
substitutions ad�quates. C'est le corps,
dans sa sensorialit� comme dans son agir,
sa gestualit�, qui en assurera la possibilit�.
Le corps avant m�me qu'il ne s'�labore en
image du corps. Ferencsi disait bien que
l'enfant apprend � figurer, au moyen de son
corps, toute la diversit� du monde
ext�rieur. Mais je crois qu'avant m�me que
le corps soit figur� en image du corps, le
rep�rage se fait d�j� � partir de
l'�prouv�
senti et agi, inscrivant, dans le corps,
traces et frayages sensori-moteurs.
Autrement dit, c'est parce qu'il s'est d�j�
�tabli un lien entre un ensemble
sensori-moteur et un affect correspondant
� la satisfaction ou � la non satisfaction de
la pulsion que va pouvoir s'�laborer
secondairement le fantasme. (Fantasme qui
gardera d'ailleurs les composantes de sa
double appartenance, puisqu'il comporte � la
fois affect et repr�sentation. Et si le visuel
tend � y occuper la premi�re place, c'est en
raison de l'�laboration sch�matisante qu'il
permet).
Je me r�f�rerai ici � l'exp�rience que fait
Proust lorsqu'il go�te la madeleine tremp�e
dans une infusion. C'est un �prouv� du corps,
un �prouv� sensori-moteur qui est le point
de d�part de cette exp�rience, si intense
qu'il la d�crit comme lui donnant une joie
pareille � une certitude et suffisante, sans
autre preuve, � lui rendre la mort
indiff�rente.Proust A la Recherche du
Temps Perdu, t.(ADMIN), �d. La Pl�iade,
Gallimard, Paris, p.
Cet �prouv� actuel va faire r�sonner en lui
un �prouv� plus ancien de par sa similitude
sensorielle avec lui. Une image-souvenir
peut s'y trouver associ�e (c'est le cas de
l'exp�rience rapport�e par Proust). Mais ce
n'est pas n�cessaire. Il nous est tous arriv�,
� propos d'un go�t, d'une odeur, d'une
perception de sable chaud, d'avoir la
certitude d'un rev�cu sans qu'une image s'y
associe. Un rapport de similitude semble
donc pouvoir s'�tablir entre une perception
actuelle et ce que j'appellerai un souvenir
du corps, avant m�me qu'une repr�sentation
soit �labor�e et puisse servir de terme de
comparaison.
Bien �videmment, la pulsion joue aussi son
r�le car c'est elle, au point de d�part, qui
fonde cette similitude. Mais Proust ne
soup�onne sans doute pas qu'elle s'enracine
beaucoup plus loin encore que dans ce
souvenir d'enfance, chez sa tante, auquel il
le rapporte (et qui fait donc figure de
souvenir �cran). Car on ne peut pas ne pas
penser que cette madeleine en forme de
sein, laissant sourdre le liquide dans lequel
elle a �t� tremp�e, le geste de la main qui
saisit et met � la bouche, les mouvements
m�me de la langue et des l�vres, ne
renvoient pas aux exp�riences corporelles
inaugurales et tr�s investies qui, dans leur
double polarit�, active et passive, gestuelle
et sensorielle, vont servir d'assises
initiales � toute l'organisation des cha�nes
symboliques. Pulsions et rep�res corporels
signifiants y sont donc l�, li�s d�s l'origine,
et serviront de noyaux organisateurs aux
syst�mes symboliques ult�rieurs.
Mais situer les choses de cette fa�on, c'est
aussi introduire un troisi�me param�tre :
celui, pr�cis�ment, de l'organisation et de
l'�laboration psychique qui, de ce fait, se
construit. Organisation qui va d'ailleurs
pouvoir �tre investie pour elle-m�me,
engageant la dimension narcissique.
Tel est, rapidement trac�, le sch�ma
directeur qui conduit notre r�flexion. Il me
para�t plus int�ressant et plus fructueux de
r�aborder maintenant ce cheminement �
travers une analyse des processus �
l'oeuvre dans la cr�ation artistique ce qui,
nous l'esp�rons, apportera un �clairage
nouveau sur la fa�on dont s'originent et se
d�veloppent certains processus psychiques
primaires que nous pouvons observer dans
notre pratique analytique.