Publié le 8 mars 2015

Bonjour Laure.
— Bonjour Yannick
— Alors, pour quelle raison suis-je venu ?
— Je ne sais pas, pour t'en prendre plein la figure, comme d'habitude ? Non, sérieusement, c'est Agnès qui m'a demandé de te faire venir.
— D'accord. Et quelle est la nouvelle lubie de notre chère chef adorée ?

— Ce n'est pas une lubie, mais un ordre venant de l'état major
— Ah. Donc, ce n'est pas pour rigoler.
— Attends de voir l'ordre de mission, avant de dire cela
— Comment ça ?
— Tu sais que la directive sur l'accessibilité aux personnes à mobilité réduite est passée la semaine dernière ?
— Oui… et ?
— Et bien, les fusées doivent être mises en conformité.
— En conformité ? C'est à dire ? Les accès aux différents sas ont déjà été modifiés lors de la publication du décret datant d'il y a une dizaine d'années. On peut même marcher à trois de front, équipés de scaphandres, sans se marcher sur les pieds ou se cogner.
— Oui, et bien, seul un détail avait été négligé il y a dix ans.
— Ah ? Et lequel est-ce ?
— Les issues de secours.
— Depuis quand il y a des issues de secours sur une fusée ?
— Sais-tu combien d'accidents se sont produits lors du décollage ou lors de la mise en orbite depuis le début de l'ère spatiale ? 12.

Laure marqua une pause, pour boire un verre d'eau, avant de poursuivre.

— Nos charmants ministres ont décrété que c'était trop. Alors, ils ont décidé d'imposer la mise en place d'issues de secours sur les fusées, navettes et vaisseaux, et l'ont intégré lors du texte de loi sur l'accessibilité.
— Des issues de secours… sur une fusée. C'est ridicule.
— Pas plus que la ceinture de sécurité dans les voitures du XXe siècle.
— Et après, ils vont décréter quoi ? Que les morts dans l'espace doivent ressusciter ? Que les zglorts ne doivent pas prendre les navettes pour leur garde-manger ? Que l'air est trop précieux et qu'il faut arrêter de le respirer ? Et que pour notre santé, il faut éviter de manger [1] ?
— Un texte encore écrit et décidé par des gens dont ce n'est pas le domaine. Et alors, qu'est-ce que ça change ?
— Dans tous les cas, ça ne sera pas applicable.
— Cette décision l'est. Elle a été décidée conjointement avec les principaux concepteurs de lanceurs. Et ils ont eu le soutien des avocats des personnes tuées dans les accidents de fusée.
— Bref. Que dois-je faire ? Monter dans une fusée avec un fauteuil roulant, m'équiper d'un parachute et d'un jet pack, lancer la fusée et en sortir en altitude et puis c'est tout. C'est complètement ridicule.
— Tu as des dons de devin ou quoi ? C'est exactement ce qui est marqué dans l'ordre de mission les mots « complètement ridicule » compris. Après, c'est Agnès qui l'a ajouté à la main sur les documents. Elle semble penser exactement la même chose que toi. Après, ce n'est pas vraiment surprenant, vu que vous
— On en discutera plus tard. Plus vite cette mission sera expédiée, mieux ce sera. Surtout pour moi.

Prenant un ton plus calme, Yannick demanda

— Je n'ai pas vu Nicolas. Est-il dans les parages ?
— Il est en ce moment sur la base lunaire, sur une autre mission.
— Et Agnès ?
— Elle vient de rentrer. Elle a lu l'ordre de mission, l'a signé, ajouté deux remarques et est partie dormir. Elle n'a pas pu se reposer une seule seconde ces dernières semaines.
— Et donc, il ne restait plus que moi pour faire cette mission galère, et chiante au possible. Je préférerais encore aller à la chasse au Dahu, sur Eldorande IV.
— Mais, il n'y a pas de Dahu sur cette planète. Pas plus qu'ailleurs.
— Mais si, c'est cet animal mi chèvre, mi chevreuil, avec les deux pattes droites plus courtes que les deux gauches.
— Nan, ça, c'est ce que vous voyez quand vous avez trop bu. La dernière fois, vous prétendiez voir un singe à trois tête derrière nous.
— C'était vrai cette fois là. Je n'avais pas bu tant que ça. Personne ne voulait me croire. Et il s'est sauvé au moment où vous vous êtes retournés.
— On ne va pas remettre ça sur le tapis.
— Bref. Je m'équipe rapidement, et je monte dans la fusée. C'est bien ça ? Il y a un un fauteuil roulant à offrir en sacrifice aux divinités régnant sur l'espace sous la main, histoire de faire le test dans de vraies conditions ?
— Vous avez-vu le prix de ces sièges ? Prenez plutôt cette chaise. Elle est faite de matériaux recyclés, et pourra se désagréger sans problème.
— Vive le n'importe quoi. Vous allez me lancer dans l'espace, avec une chaise, pour vérifier que l'éjection en cas d'urgence fonctionne. Cette mission va coûter des millions. Je croyais que des coupes budgétaires étaient faites, et c'est pour ça qu'on crapahute d'un coin de l'espace à l'autre, à la recherche d'un groupuscule que personne n'a jamais entendu parler, dont on ne sait même pas s'il existe, en faisant avec les moyens du bord, c'est à dire rien. Et là, on gaspille l'équivalent de cinq ans de budget d'armement pour vérifier qu'on peut sortir d'un feu d'artifice, assis tranquillement sur une chaise. Celui qui a décidé de ça, il vit sur quelle planète, franchement ?
— Il vit actuellement sur Mars.
— C'était une question rhétorique. Je me fous de savoir où il vit, ou même dans quel univers il baigne. Tout ce que je veux dire, c'est que cette mission est complètement absurde. Comme cette chaise, tiens. Elle est recyclée, as-tu dit. Mais à partir de quoi ? Franchement, j'ai l'impression de m'asseoir sur un banc de poissons qui a été sorti de l'eau il y a des mois.
— Ah non, c'était à partir des restes de squelettes de poissons frais. J'ai vérifié personnellement. De toute façon, avec le scaphandre, l'air et donc l'odeur n'entrera pas.
— J'aurai une médaille pour cette sauterie ?
— Pas plus que pour les anciennes missions.
— Super. C'est vraiment motivant de bosser dans cette agence de cingléEs. Donc, je pars, je saute et je reviens. À ce soir.
— C'est ça, amuse-toi bien.
— Encore des sarcasmes. Tout ce que je déteste chez toi.
— Comme si tu n'y étais pas habitué après toutes ces années.

Yannick sorti du bureau.
Il héla une navette rapide pour aller jusqu'au site de lancement de l'armée.

À bord, il regarda rapidement les informations. La fusée était déjà sur le pas de tir. Il ne put s'exclamer.

— Et bien, ils voient vraiment les choses en grand. Ils ont prévu un gros événement à priori. Tous les médias du système solaire semblent agglutinés autour du site. Plus qu'à espérer que Laure et Agnès ont prévu l'exposition minimum aux médias.

La vitre du chauffeur s'ouvrit, et une voix familière se fit entendre.

— Aucune inquiétude. Tout a été pris en compte, cette navette également.
— Agnès ? Que fais-tu là ?
— Je conduis une navette rapide.
— Ça, je l'ai remarqué, merci. Non, sérieusement, je croyais que tu étais fatiguée et que tu dormais ?
— Tu penses bien que je ne louperais pas ça pour le moindre du monde. Bon, trêve de plaisanteries. Parlons sérieusement. À ton avis, pourquoi ai-je décidé que ce soit toi qui fasse cette mission ?
— Il y a une vraie raison ?
— Bien sûr, tu croyais quoi ? C'est en partie lié au fait que cela soit extrêmement médiatisé. Tu sais que toutes les grandes pontes seront sur place, avec de nombreux VIP. Ce lancement et ce test sera relayé dans une bonne partie de l'univers.
— Et ?
— À ton avis, sur quoi on passe notre temps à enquêter ces deux derniers mois ?
— Encore l'affaire des zglorts ?
— Pas seulement.
— Une attaque possible ?
— Fort probable. Et donc, il me faut un vétéran, quelqu'un en qui j'ai entière confiance, et qui peut également avoir confiance en moi, en nous.
— Je vois. C'est pour ça que ce ne sont pas les "pilotes" d'essais qui font l'inauguration, contrairement à l'accoutumée.
— Exact. Regarde sur le siège à droite, j'ai laissé une tablette contenant l'ordre de mission. Tu connais la clé pour le déchiffrer. Tu as encore dix minutes pour le lire, dont cinq de trop. J'y ai condensé l'essentiel à savoir.

Yannick le parcourut d'une traite.

— En effet, c'est sérieux.
— Ta combinaison a un aspect extérieur classique. Mais on l'a renforcé à l'intérieur, notamment le blindage électromagnétique, et tu as une autonomie d'air de deux jours. Tout est redondant. Il y a aussi un communicateur et une balise de détresse au cas où tu t'évanouirais. J'espère seulement que nous sommes trop paranoïaques et que tout cela ne servira pas. Sinon, ta visière est traitée, on ne pourra pas voir ton visage, même avec des caméras infrarouge, et tu n'aura pas à répondre aux questions. Le lancement est programmé directement dans la fusée, mais tout le pilotage sera en manuel. On a coupé toutes les commandes à distance, afin d'éviter tout piratage et détournement de la fusée.
— Autre question : pourquoi l'ancien pas de tir de l'équateur ?
— Pour des raison historiques. Il y a une exposition sur tous les lanceurs des États-Unis d’Europe qui y sont exposés, notamment les anciennes fusées Ariane. Y inaugurer le siège éjectable sur ce site a été approuvé par l'état major. En plus, ce site est facile à protéger et à surveiller.
— Je vois. Autre chose ?
— Ne prends pas de risques inutiles, et reviens entier.

La navette s'arrêta devant la barrière permettant l'entrée de la base, située à côté du pas de tir. Agnès montra son badge devant le garde. Celui-ci ne posa aucune question et ouvrit la barrière.

— La sécurité ne semble pas importante, dit Yannick.
— C'est juste une illusion. Il y a des canons un peu partout, pointés sur les entrées, et tout véhicule qui forcerait le passage serait immédiatement détruit, sans sommation. D'autres sécurités ont été mises en place un peu partout et dans les alentours, de manière discrète. On a même déployé les premiers prototypes des capes d'invisibilités, malgré le fait qu'elles ne soient pas encore au point. On n'était censé les avoir que dans six mois.
— Et bien… Tout ça, rien que pour moi, dit Yannick, avec un grand sourire.
— Idiot !

Yannick gagna le vestiaire, accompagné par Agnès. Elle s'arrêta à la porte, et lui remis une carte.

— Ce sont les coordonnées où l'éjection doit se faire. Il y aura une navette de secours à proximité pour te récupérer. Je partirai dans une autre navette dans une heure, depuis une autre base. J'ai deux-trois trucs à déposer sur la base lunaire, Nicolas a oublié son scanneur. Si jamais il y a un problème, actionne ta balise de détresse, et je viendrai te chercher.
— Merci.

La porte se ferma, et Yannick se retrouva seul. Il entendit les pas s'éloigner.

— Bon, temps de se préparer.

Une demi-heure plus tard, Yannick franchit le sas, et traversa le pas de tir, sous l'angle des caméras.
Il gagna le monte-charge [2] qui devait l'emmener jusqu'à l'entrée de la fusée.
Deux sas plus tard, il gagna le poste de pilotage.
Il inséra la carte qu'Agnès lui avait remis peu de temps avant, puis tourna une clef, releva le cache et appuya sur le bouton rouge, qui annonça alors le compte à rebours.
Il n'entendit pas le décompte, l'allumage se faisant automatiquement. Il regarda alors la chaise placée à côté de lui. Il ne put s'empêcher de dire

— Tu te rends compte, tout ça pour toi ? Qu'est-ce que ce ça te fait, d'être sous les projecteurs ?

La chaise ne répondit pas [3] Elle resta immobile, y compris pendant le décollage [4].
À l'approche de l'altitude prévue, Yannick déboucla ses ceintures, prit la chaise, et gagna l'issue de secours.

— Franchement, c'est vraiment ridicule.

Il plaça la chaise sur la plateforme, et s'asseya dessus.
Il tira ensuite la commande d'éjection.
Il ne se passa rien.

— Et bien ? Que se

Une poussée violente l'empêcha de finir sa phrase. Il se retrouva dans l'espace, avec la chaise.
#UCDLE7 : Une Chaise Dans L'Espace.



1 : Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop salé, trop sucré, trop liquide, trop solide. Bref, évitez de manger, et ne consommez que les pilules énergétiques agréées par le gouvernement.
2 : Vous imagineriez, vous, de monter dans une fusée, dont l'entrée est située à plus de 10 mètres de haut, via une échelle, alors que vous êtes vêtu d'une combinaison de spationaute ? Bon courage dans ce cas.
3 : Ben oui, c'est une chaise. Vous vous attendiez à quoi ? Qu'elle réponde d'une petite voix toute mimi "Ouiiiiii, je suis conteeeeeente !!!!!".
4 : Rappel de la règle numéro une dans tout bâtiment aérien ou sous-marin : TOUJOURS tout arrimer.