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Ponts culturels entre la Pologne et Taiwan : entretien avec la traductrice Wei-Yun Lin-Górecka [1]

['Filip Noubel']

Date: 2024-07-03

La Pologne et Taïwan ne sont pas seulement géographiquement éloignés l'un de l'autre, ils le sont aussi culturellement. Et pourtant, ces deux nations entretiennent depuis bien longtemps une relation de lien culturel, peu connue hors des cercles d'initiés. L'un de ces liens n'est autre que la traductrice Wei-Yun Lin-Górecka (林蔚昀), traduisant la littérature polonaise en taïwanais. Elle est également chercheuse, poète et écrivaine. Elle est la première personne originaire de Taïwan à recevoir la Médaille du Mérite culturel polonais. Elle a récemment publié un ouvrage de non-fiction intitulé Les Clés du Monde (世界之鑰 en version originale), ouvrage dans lequel elle aborde l'histoire de l'échange culturel entre Taïwan et la Pologne.

À la suite de nombreuses rencontres à Taipei, Global Voices a mené un entretien par courrier électronique avec Wei-Yun Lin-Górecka, l'interrogeant sur cet étrange lien culturel.

Filip Noubel (FN) : Comment s'est passée votre rencontre avec la culture polonaise ?



Wei-Yun Lin-Górecka (WYLG) Around 2000, I was studying in Edinburgh, and one day I saw a shop selling Polish posters, walked in… and became deeply attracted by Polish posters, especially those by Wiktor Sadowski. Although I couldn’t understand a word of Polish at the time, I decided that one day I must visit Poland. Later, I began to read Polish literature, including Witkacy‘s “Kurka wodna” (The Water Duck) and Witold Gombrowicz’s “Iwona, księżniczka Burgunda” (Iwona, Princess of Burgundy), Tadeusz Różewicz‘s poems… When I read Bruno Schulz, I decided to go to Poland to learn Polish, and that one day, I would translate his works. Later, I actually translated his “Sklepy cynamonowe” (“The Cinnamon Shops”, published in Taiwan under the title “Ulica krokodyli” – “The Street of Crocodiles”) and “Sanatorium pod klepsydrą” (“Sanatorium Under the Sign of the Hourglass” ), which were published in 2012 and 2014 respectively. For more than ten years, I have continued to translate Polish literature.

Wei-Yun Lin-Górecka (WYLG) : Quand j'étais étudiante à Édimbourg dans les années 2000, je suis passée près d'un magasin vendant des affiches polonaises, et lorsque j'y suis rentrée… je fus happée par la beauté de ces affiches, surtout celles de Wiktor Sadowski. Même si je ne parlais pas encore un mot de polonais, je me suis dit qu'il fallait que j'aille dans ce pays un jour. Je me suis alors mise à lire de la littérature polonaise, dont des œuvres comme La Poule d'eau (Kurka wodna) de Witkiewicz, Yvonne, princesse de Bourgogne (Iwona, księżniczka Burgunda) de Gombrowicz, ou bien les poèmes de Tadeusz Różewicz… mais ce n'est que lorsque j'ai enfin lu du Bruno Schulz que je me suis décidée à aller en Pologne pour apprendre la langue, afin de pouvoir un jour traduire des œuvres polonaises. J'ai d'ailleurs traduit deux de ses œuvres : Les Boutiques de cannelle ainsi que Le Sanatorium au croque-mort, respectivement publiés à Taïwan en 2012 et 2014. Cela fait plus de dix ans que je traduis des ouvrages polonais.

FN : Les Polonais écrivent au sujet de Taïwan depuis le 17ᵉ siècle, encore connu à l'époque sous son nom portugais de « Formosa ». Dans votre livre, vous associez ce terme, en plus de « Tajwan », à des dizaines d'endroits souvent reculés ou entourés d'eau en Pologne.

Mais pourquoi portent-ils ce nom ?



林蔚昀: 波蘭的「台灣」和「福爾摩沙」之所以叫做「台灣」和「福爾摩沙」,和一九五○年代全球性的歷史事件如韓戰、國共內戰息息相關。當時,國共內戰在波蘭人民共和國被大幅報導,人們經常在報紙上看到,在電台上聽到台灣(通常是「美帝傀儡」、「蔣介石最後浮木」、「中共要解放台灣」這一類的),對台灣這個名字有印象,於是開始用「台灣」來稱呼他們周遭環境中的事物,通常是長得像座島(或真的是座島,在海上、湖中,或是下雨的時候與世隔絕)、遠離中心、很窮(戰後台灣在波蘭人心目中很窮苦,當時台灣也確實很窮苦)、治安不好的地方。但是我有去統計、研究過,這些地方多半還是因為「遠離中心」才被稱為台灣,即使是那些被認為是因為「混亂」和「貧窮」所以才被稱為「台灣」的地方,一開始命名的原因也是「遠」.

The reason why places in Poland are called “Tajwan” or “Formoza” is closely related to global historical events in the 1950s, such as the Korean War and the Civil War between the Kuomintang and the Communist Party. At that time, the Chinese civil war was widely covered in the People's Republic of Poland: People often saw it mentioned in newspapers, and heard on the radio about Taiwan – usually described as “a puppet of US imperialism”, or as “Chiang Kai-shek's last driftwood”, and slogans such as “the Chinese Communist Party wants to liberate Taiwan”. Thus they formed an impression of the name Taiwan, and began to use the term”Tajwan” to refer to things in their own environment that usually looked like an island, or indeed were real islands, whether on the sea, in a lake, or underwater. It then extended to places that become isolated in heavy rain weather, places located far away from the center, or very poor (in Polish mindset of the time, Taiwan was a very poor place after the civil war, and indeed it was), or unsafe. I have conducted my own research and came up with statistics showing that most of these places are still called Taiwan because they are “far away from the center.” The locations initially called “Tajwan” because of being associated to social chaos or poverty have also retained that name, but also because they are considered remote.

WYLG : Il est vrai qu'il existe de nombreux endroits portant le nom « Tajwan » ou « Formoza » en Pologne. Ces endroits sont généralement liés à divers événements historiques des années 50, comme la guerre de Corée ou bien la guerre civile entre le Kuomintang et le parti communiste en Chine. La guerre civile chinoise était très médiatisée en République populaire de Pologne, et il n'était pas rare de voir des journaux définir Taïwan comme « la marionnette de l'impérialisme américain » ou bien « le dernier rempart de Tchang Kaï-chek ». Des slogans comme « Le parti communiste chinois ne souhaite que la libération de Taïwan » étaient aussi très répandus à cette époque. La population polonaise s'est alors mise à associer Taïwan, qu'ils comprenaient comme Tajwan, avec des choses qui pouvaient leur faire penser à Taïwan. Ils commencèrent avec des sortes d'îles, qu'elles soient sur la mer, dans un lac ou sous-marine. Puis, ces appellations se sont étendues à des endroits inondés par la pluie, avant de finir par désigner des endroits pauvres, reculés ou dangereux (les Polonais avaient une image de Taïwan comme un pays pauvre). Après avoir fait quelques recherches, je suis arrivée à la conclusion que ces endroits sont toujours appelés « Tajwan » en raison de la « distance qu'ils partagent avec le centre ». Les endroits qui portent le nom de « Tajwan » à cause de la pauvreté ou de la dangerosité n'ont pas non plus été renommés.

FN : Taïwan est-il enfin vu comme un pays à part entière en Pologne ? Ou est-ce que la population pense toujours que ce n'est que « l'autre Chine » ou encore « la Chine des gentils » ?



林蔚昀:我必須很遺憾地說,很多時候台灣依然被貼上「另一個中國」或「好中國」的標籤並被視為「好中國」⋯⋯這個現象在波蘭漢學家和波蘭國際關係學家之中,特別嚴重,而且他們的想法難以改變。不過,也開始有部分中生代和青年學者開始注意到台灣獨特的認同和文化,這是好事,但這樣的人目前還不夠多。相較之下,我反而覺得一般民眾比較好溝通。我在做地名研究的時候,訪談了波蘭四十八個地方的居民(這些地方有叫做「Tajwan」或是「Formoza」的地方),我除了問他們當地「Tajwan」和「Formoza」的由來,也有問他們對台灣知道些什麼?對台灣有什麼了解?許多人對台灣的了解很模糊,有些人一開始也會覺得台灣是「好的中國」、「民主中國」,但當我開始和他們談台灣有什麼獨特文化,台灣有什麼漂亮的山⋯⋯他們就開始對台灣有認識、有興趣。我覺得,重點是要找到共同的語言、共同感興趣的事。我希望這樣的溝通對話可以提升波蘭人對台灣的認識,甚至認同。這麼做的人也不只是我,也有許多台灣人這麼做,我們都在做國民外交。

WYLG: Unfortunately, I have to say that Taiwan is still often labeled as “the other China” or “the good China” and regarded as “the good China”… This phenomenon is a serious problem among Polish sinologists and Polish international relations scholars. It is extremely difficult to change their mindset. However, a number of middle-age and young scholars are beginning to notice Taiwan's unique identity and culture. This is a good thing, but such people are still very few. In comparison, I think the task is much easier when dealing with average Poles. When I was doing research on the names of those locations, I interviewed residents of forty-eight places in Poland (some of these places are called “Tajwan”, others “Formoza”). In addition to asking them about the origins of the local “Tajwan” and “Formoza”, I also asked them what they know about Taiwan. Many people have a vague understanding of Taiwan, and while some may indeed still think that Taiwan is “the good China” or “the democratic China” at first, yet when I start telling them about Taiwan's unique culture and beautiful mountains Taiwan, they begin to understand and become interested in Taiwan. I think the key is to find a common language and common interests. I hope that this kind of communication and dialogue can enhance Polish people’s understanding – and even recognition- of Taiwan. I am not the only one doing this, there are many Taiwanese people engaging in this kind of people’s diplomacy.

WYLG : Non, ces termes sont malheureusement toujours utilisés pour parler de Taïwan… C'est le genre de terribles déclarations que l'on peut entendre être répétées par bien des experts en relations étrangères… Même certains sinologues font cette erreur, et cela peut s'avérer assez difficile de changer leur point de vue. Cependant, de plus en plus de jeunes spécialistes comprennent la nature désobligeante de ces remarques et commencent à s'intéresser de plus près à la culture et à l'identité de Taïwan. Mais malgré la nature positive de ce changement, ces personnes ne sont qu'une minorité… En revanche, éduquer les Polonais sans aucune attache scientifique s'avère être une tâche bien plus simple. Lors de mes recherches sur les origines des endroits encore appelés « Tajwan » ou « Formoza », j'ai eu la chance de pouvoir interroger les habitants de quarante-huit endroits différents. En plus de leur demander des renseignements sur ces noms, je me suis permis de les questionner sur leurs connaissances de Taïwan. Beaucoup n'avaient que de vagues à priori, perpétuant les clichés sur Taïwan et « la Chine des gentils ». Mais après leur avoir décrit les merveilles du pays, comme la culture ou les magnifiques montagnes qui occupent le paysage, ils ont tous voulu en savoir plus. Je pense que le meilleur moyen pour arriver à détruire ces clichés, c'est de trouver un terrain d'entente entre les deux cultures. J'espère que ce genre de conversation permettra aux Polonais de mieux appréhender, voire d'apprécier, la beauté de Taïwan.

Je ne suis pas non plus la seule à essayer de changer les mentalités en Pologne. De nombreux citoyens taïwanais entreprennent également ce genre de discussions interculturelles.

FN : Vous traduisez également de la littérature polonaise en taïwanais. Comment sont reçus ces ouvrages ?



À lire : A snapshot of Taiwan's Sunflower movement ten years later (Dix ans plus tard, le mouvement des tournesols de Taïwan est à l'honneur)

[END]
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[1] Url: https://fr.globalvoices.org/2024/07/03/288461/

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